Karim Amellal est un "écrivain et enseignant à Sciences Po [qui] a été chargé par le président de la République de mener une mission dédiée à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme sur internet. Aux côtés de Gilles Taïeb, vice-président du Crif et Laetitia Avia, députée LREM, il réfléchit à la pertinence d’une loi" (1).
Pour être aux premières loges, nous sommes nombreux à confirmer qu'une telle mission est nécessaire. Or, en observant son angle d'approche, on s'aperçoit que la lutte contre la cyberhaine est aussi le moyen de créer un délit de blasphème envers l'islam, sans le dire. Les mots utilisés sont importants. Karim Amellal en utilise certains pour tenter de judiciariser ce qui relève pour l'instant de la liberté d'expression.
Les actes et propos discriminants et haineux envers des individus en raison de leur religion sont condamnables de la même façon que les actes et propos racistes. Le problème ne vient pas du degré de sanction mais de la catégorisation. En incluant les propos anti musulmans dans la notion de racisme, Karim Amellal s'inscrit dans le logiciel des islamistes et des indigénistes : le musulman n'est plus le fidèle d'une religion. Il devient membre d'un peuple, d'une ethnie.
Karim Amellal tente de judiciariser ce qui relève pour l'instant de la liberté d'expression.
Il déclare qu'"on assiste à une banalisation de la parole haineuse à l’encontre des musulmans, des juifs, des homosexuels, des femmes". La parole haineuse envers les juifs, les homosexuels et les femmes s'exprime envers des individus pour ce qu'ils sont en tant qu'Êtres humains. La parole haineuse envers les musulmans (tout comme envers les chrétiens, les boudhistes ou autres) s'exprime envers des individus pour leur choix religieux. Encore une fois, la sanction est la même, mais pas son origine.
L'histoire de notre laïcité s'est construite notamment suite aux guerres de religions du XVIème siècle. En suivant la logique de Karim Amellal, les catholiques auraient été coupables d'actes et propos racistes envers les protestants et inversement. Les haines au sein même de nombreuses familles où le père pouvait être catholique et le fils protestant, le frère protestant et la sœur catholique, auraient été du racisme. Ce qui est parfaitement ridicule. Ces guerres étaient bien religieuses, pas raciales.
En racialisant un choix religieux, Karim Amellal essentialise tous les musulmans. Plus grave encore, et c'est tout l'intérêt de cette racialisation, cela ouvre les portes au rétablissement du délit de blasphème. En effet, si un individu est humainement musulman, toute critique de l'islam serait logiquement une attaque contre son humanité, donc du racisme. C'est tout l'art du terme "islamophobie". A ce jour, l'islamophobie n'est pas un délit puisque la peur, la critique ou la moquerie de l'islam relèvent de la liberté d'expression au même titre que pour les autres religions. En France, nous avons le droit d'être islamophobe (avoir peur de l'islam, ne pas aimer cette religion et le dire, la critiquer et s'en moquer) tout comme nous avons le droit d'être islamophile (aimer l'islam et l'exprimer).
Jusqu'à présent, la critique du christianisme et les multiples caricatures de Jésus, de Moïse, du pape et de tout ce qui compose le clergé sont acceptés par la société au nom de la liberté d'expression. Les parodies des Guignols de l'info ou les caricatures de Charlie Hebdo n'ont jamais gêné personne, à part quelques intégristes chrétiens inaudibles. Il en va tout autrement de l'islam : procès, pressions, menaces de morts, etc. Si l'État n'a pas (encore) fait de l'islamophobie un délit, les islamistes djihadistes en ont fait un crime. La sanction : la peine de mort. Depuis janvier 2015, qui a osé caricaturer le Prophète Mohamed ?
En France, nous avons le droit d'être islamophobe (avoir peur de l'islam, ne pas aimer cette religion et le dire, la critiquer et s'en moquer) tout comme nous avons le droit d'être islamophile (aimer l'islam et l'exprimer).
Le fait même de critiquer les intégristes musulmans (puisqu'ils seraient membres du peuple musulman), et de leurs manifestations par le voile et leurs actions politiques, est perçu par certains comme des propos racistes, toujours à travers "l'islamophobie". Si ce terme entre dans la loi, les propos sexistes émanant d'islamistes, leurs promotions du voilement, ne pourront plus être critiqués sous peine d'être condamné pour "islamophobie". Une nouvelle fois, les femmes seront les perdantes au profit des religieux.
De plus, quid des autres religions ? Pourquoi nommer "l'islamophobie" et pas la christianophobie, la "bouddhismophobie", la "jéovaphobie", etc ? Soit on nomme toutes les religions, soit on n'en nomme aucune. La juste formule aurait été "haine en raison de la religion". En ne citant que "l'islamophobie", on rétablit le délit de blasphème, uniquement pour l'islam, et on autorise tacitement la haine contre les croyants des autres religions.
Le régime dérogatoire demandé par une partie des musulmans pour l'islam, à travers "l'islamophobie", a du mal à passer. Rétablir le délit de blasphème pour une seule religion, comme le souhaite le CCIF par exemple, n'emporte pas une large adhésion. Alors on instrumentalise l'antisémitisme pour le mettre au même niveau que la critique religieuse et inclure "l'islamophobie" dans "les expressions haineuses envers les religions". Karim Amellal l'explique ainsi : "On sait que la lutte contre l’antisémitisme est une préoccupation très forte du Gouvernement. (…) Toutes les expressions haineuses envers les religions seront punies." (2) Ce raccourci est le cœur de son propos.
Cet angle explique pourquoi le CCIF a été auditionné.
Comment est-il possible qu'une association d'extrême droite représentant l'idéologie des Frères Musulmans (3), qui n'a de cesse de vouloir cliver la société, créer des tensions, qui milite pour le racisme sexuel à travers le voile, et qui parfois tient justement des propos haineux sur les réseaux sociaux (exemples ci-dessous de deux de ses ex porte-paroles, dont Marwan Muhammad, en fonction à la publication de ses tweets), soit entendue pour avoir son avis sur la cyberhaine ?… Parce que le rêve du CCIF, l'essence de son existence, est de faire de l'islamophobie un délit.
Ce qui explique aussi pourquoi il n'y a pas d'équité dans les auditions : les intégristes chrétiens de Civitas ou les militants d'extrême droite de Riposte Laïque n'ont pas été invités à partager leur "expérience".
Karim Amellal aurait-il commis des maladresses ou l'audition du CCIF reflète bien les idées qu'il a exprimées ? Si c'est la deuxième hypothèse, le nommer à la tête d'une telle mission est un nouveau coup de canif à la laïcité donné par le Président de la République. Emmanuel Macron souhaite peut-être être le premier Président à détricoter ce qui a été une lente construction dans la douleur de notre laïcité et de la liberté d'expression.
(1) Karim Amellal : « Contre la cyberhaine, il faut que les gens recourent au droit »
(2) Ibid.
(3) Le CCIF, fleuron de la nouvelle extrême droite française (2ème partie)