Le mardi 14 janvier 2020, Arte diffusa un documentaire en deux parties, "Nous, Français musulmans". Il avait pour ambition d'aborder ce sujet sans manichéisme, de s'éloigner des approches émotionnelles, pour montrer la pluralité des Français musulmans. L'objectif est en partie atteint, mais en partie seulement. Les intervenants étaient de qualité. David Vallat fut pertinent et ses formules efficaces, Abdennour Bidar toujours aussi posé et intéressant. Toutefois, ne représentant que lui-même et ne cessant de véhiculer une image négative des musulmans, la présence du populiste Yassine Belattar interroge.
Une autre faiblesse du documentaire est de ne pas avoir donné la parole à ceux qui ont une image négative des musulmans pour mieux démonter leurs stéréotypes. La diffusion tronquée de propos de certains d'entre eux, sans leur laisser la possibilité de s'expliquer, décrédibilise en partie la teneur du documentaire.
Le documentaire fait aussi l'impasse sur un élément fondamental. S'il aborde bien la question du salafisme, du djihadisme et de l'influence du Wahhabisme saoudien, il omet volontairement celle des Frères musulmans et du Qatar. Or, la plus grande menace pour notre pays, ce qui creuse le fossé entre une partie toujours plus importante des musulmans et le reste de la société, c'est l'islamisme politique dont les Frères musulmans sont le fer de lance.
Le documentaire omet volontairement la question des Frères musulmans et du Qatar.
Pourtant, le documentaire ne l'évoque pas. Aucune référence à l'UOIF n'est faite, même lorsque est abordée la création du CFCM. Il souligne que les activistes islamistes sont minoritaires chez les musulmans. C'est vrai. Mais leur influence (salafistes et Frères musulmans), par leur extrême motivation, est colossale. Il suffit d'observer par exemple les fanatiques du CCIF.
Ces islamistes créent des sites internet et des boutiques dans tous les domaines possibles. La plupart tourne autour du corps des femmes et des relations entre hommes et femmes, évidemment : voile sous toutes ses formes, "mode islamique" (pour contrôler le corps des femmes), activités sexuellement séparées, endoctrinement des enfants, etc. Leur influence est si forte qu'elle déborde même leurs cercles et éclabousse la gauche, dont une partie les soutiens, tout comme l'économie de marché : voile de Décathlon, promotion du voile par H&M, promotion du voilement des fillettes par Gap aux États-Unis, voiles vendus par Nike, etc. Tout est fait pour installer une norme islamiste, nommée "islamique" pour la valider, dont les corps des femmes sont au cœur car ils sont l'arme identitaire et politique des intégristes musulmans.
L'ignorance du côté sexiste et politique du voile montre là encore le relativisme du documentaire à propos du danger de l'islamisme politique représenté par les Frères musulmans.
Cela, le documentaire n'en parle pas. L'ignorance du sexisme et de l'aspect politique du voile montre là encore le relativisme du danger de l'islamisme politique représenté par les Frères musulmans. Avoir fait appel au témoignage de Mohamed Bajrafil, sans le moindre recul, parachève ce relativisme.
Mohamed Bajrafil est un religieux très actif et médiatiquement reconnu. Il est membre du bureau exécutif du Conseil Théologique des Musulmans de France, aux côtés de plusieurs Frères musulmans haut placé au sein de la confrérie européenne tels Ahmed Jaballah (co fondateur et premier président de l’UOIF), Larbi Becheri (directeur de l’IESH de Château-Chinon, institut français des Frères musulmans pour former des imams), ou Ounis Guergah (directeur des études à l’IESH de Paris Saint-Denis). Tous trois sont, entre autres, membres du Conseil Européen de la Fatwa et de la Recherche et de l’Union Internationale des Savants Musulmans, organisations internationales des Frères musulmans.
Mohamed Bajrafil est aussi vice-président de l’Association des Musulmans pour l’Islam de France (AMIF), présidé par l'ex Frère musulman Tareq Oubrou. Il est, enfin, imam à la mosquée d'Ivry-sur-Seine.
Particulièrement prolifique, il multiplie les prêches et les conférences sur différents sujets liés à l'islam, des questions quotidiennes aux sujets sociétaux. Ses vidéos sur sa chaîne YouTube (55 000 abonnés) et son blog se comptent par dizaines. Il considère Youssef Al-Qaradawi, plus important théologien Frère musulman actuel, comme un "grand savant", une de ses principales références théologiques, tout en condamnant son antisémitisme. Il participe souvent à des évènements organisés par l'UOIF (union des Frères musulmans renommés aujourd'hui "Musulmans de France" par leur désir d'OPA). Mais il se défend d'être Frère musulman. Il préfère nuancer l'image négative de la Confrérie, y compris celle de sa branche française. Il refuse d'être manichéen et a raison de dire que cette mouvance est traversée par de multiples courants. Le problème est qu'il minimise sa dangerosité politique et sa littéralité théologique et fanatique. En accord sur de nombreux points avec ces islamistes (dont le sexisme du voilement), il est dans le relativisme. Sa participation à la Rencontre Annuelle des (Frères) Musulmans de France (RAMF) est donc naturelle, ses conférences avec Tariq Ramadan également. Il a soutenu ce dernier à de nombreuses reprises. Pour lui, "le Frère Tariq Ramadan, il est devenu porte-drapeau, mais il faudrait qu’il y en ait 36 000, pour faire savoir ce qu’est l’Islam, parce qu’il ne peut pas tout faire tout seul !" (1). Comme lui, il sait manier avec habileté le double langage. Le petit fils de Hassan Al-Banna (filiation qu'il a toujours assumé et revendiqué) l'avait d'ailleurs adoubé comme l'un de ses héritiers en novembre 2016.
Son approche des textes coraniques est celle des islamistes : littéraliste. Une littéralité relativement hypocrite car, comme les islamistes, il détourne les textes quand ça l'arrange. Pour bien comprendre sa méthode, j'observerai deux cas : l'autorisation du mari de battre sa femme (présente dans le Coran) et l'obligation du port du voile (absente du Coran). La seconde des trois parties de cet article sera donc consacrée à l'approche des violences conjugales par Mohamed Bajrafil dont le documentaire, évidemment, ne dit mot.
"Nous, Français musulmans" : un documentaire intéressant aux graves lacunes (2ème partie)
"Nous, Français musulmans" : un documentaire intéressant aux graves lacunes (3ème partie)