Auditeur : Ma femme est allée se faire couper les cheveux chez un coiffeur homme, mais elle ne me l'a pas dit. Elle ne me l'a pas dit mais je l'ai découvert. Je voudrais savoir qu'elle est votre position là-dessus. (…) Elle a le droit de le faire vis-à-vis de la religion ou pas ?
Mohamed Bajrafil : Vis-à-vis de la religion, non. Pour la majorité écrasante, voire 100% des savants musulmans pour qui les cheveux de la femme font partie de sa nudité, non. Elle n'a pas le droit pour 99,99% des savants musulmans pour qui les cheveux de la femme font partie de sa nudité parce qu'elle n'a pas à la découvrir auprès d'un homme.
Ceci est la retranscription d'une partie d'un échange entre Mohamed Bajrafil et un auditeur sur l'antenne de Radio France Maghreb 2 en décembre 2014.
Ce type de questions surréalistes sont monnaie courante dans les milieux islamistes où les croyants sont si endoctrinés qu'ils sont incapables d'user du moindre esprit critique, du moindre libre arbitre. Au point de ne pas pouvoir bouger un cil sans se demander si la religion l'autorise ou pas. Nombre de musulmans sont choqués, souvent amusés, face à tant de bêtises d'une partie de leurs coreligionnaires fanatisés. Mohamed Bajrafil y est souvent confronté. Le problème n'est pas qu'on lui pose ces questions. Le problème sont ses réponses.
Dans le documentaire diffusé sur Arte, "Nous, Français musulmans", les propos de Mohamed Bajrafil sont consensuels, et sans doute sincères. Il tient souvent les mêmes ailleurs lorsqu'il s'adresse à un large public. Par contre, dès qu'il entre dans les détails et qu'il s'adresse à son public premier, le fond de sa pensée transparaît. Nous l'avons vu dans la 2ème partie de cet article à propos des violences conjugales. C'est encore plus flagrant à propos du voile.
Dans cet échange avec un auditeur, il utilise la même méthode que Tariq Ramadan concernant des sujets comme l'homosexualité ou les femmes : pour ne pas passer pour homophobe ou, ici, sexiste, il se réfugie derrière "la majorité écrasante des savants musulmans" pour donner sa réponse. C'est une manière d'exprimer son opinion sans l'assumer. En tant qu'intellectuel, il ne devrait avoir aucun mal à prendre ses distances, à exprimer un désaccord théologique. Ce qui lui arrive de faire par ailleurs. Mais là, non. Pire encore, il tend le même piège que les théologiens auxquels il se réfère.
En effet, la question du voile, dont la prescription est absente du Coran, fait débat depuis des siècles au sein du monde musulman. Seulement, depuis l'essor de l'islamisme contemporain au XXe siècle, les théologiens, islamologues, imams et intellectuels musulmans rationalistes sont ostracisés par les intégristes dont la puissance financière et le fanatisme ont pour conséquence le monopole actuel sur la théologie islamique. Les théologiens qui considèrent que le voile n'est pas une obligation religieuse en islam sont "excommuniés", mis au banc. Ils sont même dénigrés en s'attaquant à leur honneur plutôt qu'à leurs idées. Face à la puissance des intégristes, les diffusions au compte-goutte des idées rationalistes sont dérisoires. Moins coordonnés que les islamistes, moins financés et moins médiatisés, les plus courageux ne sont plus audibles aujourd'hui. Les islamistes ont réussi à imposer leur vision. Ils peuvent donc affirmer qu'il y a consensus. Cela permet à la fois de faire croire que tout le monde est d'accord tout en permettant d'accuser d'apostasie et/ou de traîtrise tout musulman qui oserait faire entendre une voix différente. En Europe, on les qualifie "d'islamophobes", avec l'aide d'une partie de la gauche alliée aux islamistes. En résumé : "On est tous d'accord. Celui qui ne l'est pas n'est pas musulman". Le débat théologique et les échanges d'idées n'existent quasiment plus de nos jours en islam. Cet obscurantisme permet à Mohamed Bajrafil de dire que "99,99% des savants musulmans [considèrent que] les cheveux de la femme font partie de sa nudité parce qu'elle n'a pas à la découvrir auprès d'un homme." Autrement dit, la tête d'une femme serait un organe génital, sexuellement excitant pour les hommes. La responsabilité de cette excitation incombe aux femmes qui devraient se cacher sous un voile pour ne pas la provoquer. 0% spirituel 100% sexiste, telle est la seule raison d'être du voile.
L'obscurantisme permet à Mohamed Bajrafil de dire que "99,99% des savants musulmans [considèrent que] les cheveux de la femme font partie de sa nudité.
Il ne prend pas ses distances car, il a beau se réfugier derrière ces théologiens, cette approche correspond à ses convictions.
En comité restreint, et avant d'être médiatisé comme aujourd'hui, il exprima à plusieurs reprises son opinion sur le voile. Ce fut le cas, par exemple, lors d'une intervention à la mosquée de Vigneux-sur-Seine en juin 2011 (1) :
Ma fille je ne la voile pas. Elle a 4 ans, 5 ans. Par contre, je ne m'interdis pas, de temps en temps, parce que ça fait partie de mes traditions, ça fait partie de ma religion, ça fait partie de mes convictions, de quand je pars avec elle quelque part, que je lui prenne la main et qu'elle soit habillée, qu'elle porte les habits qu'elle portera inchallah dans 6, 7 ans. C'est une sorte d'initiation. (…) C'est quoi le voile finalement ? C'est ce qu'on appelle "el khumur" en arabe.
Puis il cite le verset 31 de la sourate 24 : "de rabattre (līađribna) leurs étoffes (bi-khumûrihinna) sur leurs décolletés ('alâ juyûbihinna)".
Le khimar (singulier de "khumur") c'est ce que tu mets ici (il montre les oreilles), et qui va en effet protéger les oreilles, protéger ton cou compris, et qui ne va laisser transparaître que ton visage. C'est obligatoire (il cite en arabe un hadith peu fiable, validé par les islamistes et non retenu par les musulmans rationalistes qui montre visuellement les parties de la femme à cacher désignées par le Prophète). Si la fille a ses menstrues, et bien d'elle on ne doit voir que la figure et les mains. Mais là le hadith est clair : c'est quand elle atteint la puberté. Avant c'est pas obligatoire. Elle peut aller à la piscine. C'est des choses qui posent problème aujourd'hui. Mais bien entendu, avant qu'elle n'atteigne cet âge-là. Une fois qu'elle a atteint cet âge-là, et bien là vous procèderez à l'éducation. Mais encore une fois, cette éducation-là, vous la faites avant. Vous ne lui imposez pas. Si la fille se lève et trouve maman habillée comme ça, il y a de fortes chances qu'elle le fasse. Parce que souvent elle cherche à faire comme maman.
Mohamed Bajrafil dévoile la véritable et seule raison d'être du voile : le sexisme. Rien dans son propos, aucun argument n'avance de près ou de loin des raisons spirituelles. Plus les partisans du voile entrent dans les détails, plus leurs propos sont sexistes. L'emballage de "la prescription religieuse" et du "cheminement spirituel" ne sont là que pour sanctuariser le voile afin de protéger ce sexisme identitaire et politique.
La raison du voilement des fillettes est ici aussi apportée par Mohamed Bajrafil. L'objectif est de les habituer au sort d'objet sexuel qui les attend (le fait de rendre le voilement obligatoire à l'apparition des menstrues en est un des éléments). Il n'a aucun problème à sexualiser le corps de sa propre fille de 5 ans dont le petit voile exprime qu'il pourrait être sexuellement tentateur. Sans parler de l'inconfort physique pour une fille de cet âge. Ce que nous pouvons considérer comme de la maltraitance infantile, il le considère comme une forme d'éducation respectable. Pourtant, le Coran n'évoque rien de tel.
L'objectif du voilement des fillettes est de les habituer au sort d'objet sexuel qui les attend.
En effet, le Coran n'évoque aucun voile mais une étoffe, une mante. Aucune partie du corps n'est non plus mentionnée, à part l'échancrure de la poitrine (autrement dit, le décolleté). Mais Mohamed Bajrafil use du même tour de passe-passe que tous les islamistes : l'échancrure de la poitrine se transforme en dissimulation des cheveux, des oreilles, du cou, etc. Cela est rendu possible par un terme vague cité dans le Coran derrière lequel nous pouvons mettre tout et n'importe quoi : les atours (ou parures). Les islamistes se ruent sur ce terme pour considérer que les atours sont tout le corps de la femme. J'avais démontré en détail, dans un article précédent, cette imposture théologique motivée par une obsession sexuelle et patriarcale (2).
Pour atténuer le sexisme du voile, Mohamed Bajrafil déclara à plusieurs reprises que le Coran a la même exigence pour les hommes. Il s'appuie pour cela sur les versets 30 et 31 de la sourate 24. Le verset 30 demande "aux croyants de baisser leurs regards et de garder leur chasteté. C’est plus pur pour eux." Le verset 31 commence également par ceci : "Et dis aux croyantes de baisser leurs regards, de garder leur chasteté (…)". Effectivement, la même chose est demandée aux deux sexes… mais seulement pour le regard (dans le sens de ne pas regarder avec insistance) et la chasteté, pas pour le vêtement. En effet, si le verset 30 s'arrête là, le verset 31 concernant les femmes continue longuement pour leur conseiller "de rabattre leurs étoffes sur leurs décolletés", suivi d'une longue liste des personnes autorisées à voir ses "atours". Rien de tel pour les hommes. Ce n'est pas étonnant. Cette recommandation (et non une obligation) concernait une période, des circonstances et un lieu particulier, de plus dans un monde ultra patriarcal. Le plus gênant n'est pas que cela soit écrit dans un livre rédigé il y a 1300 ans. Le plus gênant est qu'il y ait des personnes qui veulent l'appliquer tel quel aujourd'hui, comme Mohamed Bajrafil, en le rendant même encore plus sexiste qu'il ne l'était au départ.
Pour respecter cette interprétation sexiste du Coran, nombre de prédicateurs préconisent le voilement des petites filles afin de les habituer "pour ne pas qu'elles se rebellent plus tard". C'est l'approche typique des islamistes qui parlent de "libre choix". La contrainte n'est pas explicitement formulée, mais elle est présente à chaque instant par l'endoctrinement, les mises en garde sur la "pudeur" définie par des hommes, sur le risque de punition "divine" inventée par des hommes, pour cacher les corps des femmes qu'ils voient comme des objets sexuels tentateurs. Tout est fait pour ne laisser d'autre choix à la jeune fille que de faire le "libre choix" du voilement, y compris de tricher en déformant les versets du Coran pour les faire coller à leur obsession sexuel.
Mohamed Bajrafil donna sa définition du "libre choix" lors d'une intervention au Rassemblement annuel des [Frères] musulmans de France au Bourget, le 19 avril 2014 (à partir de 5,09 minutes) : Celui qui veut croire, il croit. Celui qui ne veut pas croire, qu'il ne croie pas. Mais derrière il y a l'enfer qui l'attend. Mais on t'a donné le choix. Il t'a appris le bien et le mal. Si tu vas vers le mal, c'est toi qui l'auras choisi. Tu vas vers le bien, c'est toi qui l'auras choisi.
Cette définition est appliquée au voile. Le voile est une prescription divine. Fais le choix de le faire (il répond à une question d'une femme), c'est une prescription divine. Fais le choix de le faire mais ne te laisse imposer rien du tout par personne. (…) Par contre, ça nous empêche pas de te dire que "ma sœur, c'est une obligation religieuse. C'est une prescription religieuse. Si tu l'as fait, tu as des hassanats (bons points pour gagner le Paradis). Si tu ne l'as fait pas, tu as des pêchés".
Pendant qu'il s'exprimait, Tariq Ramadan s'installait un peu plus loin pour, lui aussi, donner sa conférence.
Pour tout savoir sur ce "libre choix", également défendu par les féministes relativistes séduites par le sexisme islamiste, lire mon article sur ce sujet (3).
Ce "libre choix" figure dans les allées de ce Rassemblement annuel où toutes les formes de voiles sont proposées, y compris pour les fillettes. Tous les détails des raisons du voile sont écrits dans de nombreux livres ultra sexistes et patriarcaux vendus dans ces mêmes allées. Les auteurs sont des stars chez les salafistes et les Frères musulmans, tel le mentor de Mohamed Bajrafil : Youssef Al-Qaradawi (4).
Même s'il semble s'être éloigné de certaines approches de ses référents théologiques, il n'en reste pas moins imprégné par certaines de leurs interprétations comme le port du voile. Tout ceci montre que ses accords avec la doctrine des Frères musulmans sont plus nombreux que ses divergences.
De telles interprétations sexistes régulièrement serinées par des hommes dans des prêches, des livres, des vidéos, des conférences et autres émissions sur internet et chaînes satellitaires, réussissent à convaincre des musulmanes que porter le voile est leur propre choix. Elles deviennent ensuite les promotrices de leur servitude volontaire. Ce fut le cas de deux autres intervenantes du documentaire diffusé par Arte, dont Hayette Hamidi.
Hayette Hamidi est présidente du think tank patriote France Fière, secrétaire nationale Les Républicains. Elle est également porte-parole de Sens Commun 93, émanation politique de la Manif pour tous qui fut son premier engagement politique en 2012. Elle est, enfin, trésorière de l'Association des Musulmans pour l'Islam de France (AMIF).
Très conservatrice, elle l'est aussi dans son approche de l'islam qui colle à l'interprétation islamiste sur de nombreux points, d'où sa proximité avec les anti mariage pour tous. Cette approche de l'islam se matérialise par le voile qu'elle porta un temps. Les affirmations islamistes lui ont permis de "[comprendre] que c'était une obligation religieuse, que c'était ce que nous demandait le Créateur pour être en harmonie avec ses lois."
Contrairement à l'idée reçue, nombre de musulmanes se voilent par soumission aux discours islamistes, pas par soumission à la famille ou au mari. Ce qui, comme dans le cas de Hayette Hamidi, peut être "un moment de rupture" avec ses parents "et d'indépendance". Les islamistes laissent ainsi croire que s'écarter de son éducation familiale pour s'enfermer dans l'interprétation extrémiste et sexiste de l'islam, définie par des hommes, serait émancipateur. Ce témoignage reflète ce que les intégristes nomment le "cheminement spirituel" ou "cheminement personnel", terme repris par les femmes concernées, comme le fait Hayette Hamidi dans le documentaire.
"Quand j'ai porté le voile, j'avais l'impression qu'en le portant je devenais l'égal de l'homme puisque je n'étais plus peut-être une source de tentation. C'était une façon de me mettre complètement à égalité avec les hommes et de rentrer dans un échange uniquement intellectuel et spirituel."
Ce raisonnement est un classique de la rhétorique d'inversion. Il laisse croire que le voile mènerait à l'égalité des sexes. Or, la raison d'être du voile est la sexualisation du corps des femmes pointé du doigt comme objet de tentation. Considérer qu'il faudrait que la femme (et non l'homme) se voile pour être respectée est à l'opposé de toute forme d'égalité. Dans l'esprit de Hayette Hamidi, porter sur elle la responsabilité de la gestion de la libido masculine au point de se dissimuler sous un voile pour ne pas tenter les hommes, serait une forme d'indépendance. Cette rhétorique d'inversion permet de faire passer l'accessoire vestimentaire le plus raciste et sexiste que l'homme ait inventé pour un objet d'émancipation.
Dans l'esprit de Hayette Hamidi, porter sur elle la responsabilité de la gestion de la libido masculine au point de se dissimuler sous un voile pour ne pas tenter les hommes, serait une forme d'indépendance.
De plus, elle exprime, là, encore une fois, la véritable raison d'être du voile qu'est le sexisme. Comme pour Mohamed Bajrafil, à aucun moment ses raisons sont spirituelles. C'est toujours ainsi : on brandit la spiritualité pour couper court à toute critique au nom de la liberté religieuse, mais dès que nous pénétrons dans les motivations réelles, seul le sexisme est présent.
"Nous, Français musulmans" partait d'une bonne intention et souhaitait dédiaboliser l'image des musulmans. En montrant la diversité des Français musulmans, l'objectif est en partie atteint. Le problème est sa volontaire omission de l'islamisme politique dont le sexisme du voile est l'outil matériel. Le voile a été largement abordé dans le documentaire. Mais comme toujours avec les grands médias, ses aspects sexistes, intégristes et politiques ont été à peine effleurés voire ignorés. Le documentaire aurait gagné en force et en crédibilité s'il avait abordé le danger que représentent les Frères musulmans, dont le voile est le symbole identitaire. Il aurait aussi gagné en force s'il avait accordé la parole à des musulmanes et des musulmans qui luttent contre le sexisme politique du voile. Cet accessoire vestimentaire est considéré comme un dévoiement de l'islam par les musulmans rationalistes. Enfin, il aurait gagné en crédibilité s'il avait au moins brièvement précisé le profil religieux de ses intervenants.
"Nous, Français musulmans" : un documentaire intéressant aux graves lacunes (1ère partie)
"Nous, Français musulmans" : un documentaire intéressant aux graves lacunes (2ème partie)
(1) Mohamed Bajrafil - L'âge pour porter le voile
(2) "l'obligation religieuse du voile" créée par les intégristes : une hérésie sexiste combattue par les musulmans rationalistes, Coran à l'appui
(3) La notion de "libre choix" du voile, source de malentendus qui mènent au relativisme
(4) La Rencontre Annuelle des Frères Musulmans, le plus grand rassemblement islamiste d'Europe