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Naëm Bestandji

Féminisme / Universalisme / Laïcité

dossiers - Compromission et relativisme politique

Une fresque instrumentalise la Shoah, un candidat LFI aux régionales la valide

Par Naëm Bestandji . Publié le 29 Janvier 2022 à 10h22

À Grenoble, une fresque crée la polémique depuis quelques jours, lancée par l’émoi public du Président du Crif Grenoble-Dauphiné dans les colonnes du Dauphiné Libéré (1). Il s’agit d’une œuvre du street artiste Goin, visible depuis l’automne 2021 sur un mur proche du centre-ville : une femme dissimulée sous un voile aux rayures blanches et bleues est affublée d’une étoile jaune avec la mention « Muslim ».

Cette image n’est pas nouvelle. Elle s’inscrit dans une campagne de communication victimaire inspirée de l’islamisme. Pour respecter les codes de cette communication, l'artiste représente la musulmane sous un voile, toujours dans ce désir de créer une norme qui ferait de toute musulmane une femme voilée. Mais il ne s'agit pas, ici, de n’importe quel voile. Il est à l'image de la tenue des déportés Juifs dans les camps de concentration et d'extermination. L'étoile jaune, marque de l'infamie antisémite voulue par les nazis qui l'avaient rendue obligatoire, est bien visible. Tout comme l'inscription « Muslim ». Mais tout sonne faux.

Le voile serait l'équivalent de l'uniforme des déportés Juifs et de l'étoile jaune ?

Tout d'abord, le voile est-il imposé aux musulmanes comme le furent l'uniforme rayé et l'étoile jaune pour les Juifs ? Si oui, par qui ? Il est vrai que le port du voile n'est pas un choix mais un consentement de soumission au patriarcat. Il est aussi vrai que des musulmanes sont mortes ou emprisonnées pour avoir refusé de s'y soumettre. D'autres subissent des pressions plus ou moins directes pour le « libre choix » de s'y dissimuler. Tout ceci s'appuie sur l'obligation « religieuse » prescrite par les islamistes mâles qui ne laissent aux musulmanes d'autres choix psychologiques que celui de s'y plier. Le voile marque l'infamie d'un groupe humain, non pas en raison de son ethnie mais de son sexe. Pour tout cela, le dessin pourrait être pertinent. Présenter le sexisme du voile comme une forme de respect envers les femmes, et son obligation comme un « choix », ne sont que des excipients pour faire passer la pilule auprès des concernées et rassurer les relativistes. Les prescripteurs du voile pourraient donc être comparés aux nazis qui imposèrent l’étoile jaune et l’uniforme rayé.

Le voile marque l'infamie d'un groupe humain, non pas en raison de son ethnie mais de son sexe.

Mais, si cette comparaison peut être faite en Afghanistan, en Iran et en Arabie Saoudite (les camps de concentration et le génocide en moins), où des lois imposent le voile aux femmes comme les nazis avaient imposé l’étoile jaune aux Juifs, cela ne tient pas dans les pays comme la France. Les musulmanes voilées affirment l’être librement… après leur endoctrinement et pour celles qui s’expriment. Les musulmanes physiquement contraintes et/ou explicitement menacées sont par définition moins libres de s’exprimer.

La France d'aujourd'hui n'a rien en commun avec le nazisme

En France, l’État encadre le port du voile comme tous les autres signes qui sont déclarés « religieux », quelle que soit la religion, tout en garantissant la « liberté » de son port dans l’espace public. Oui, l’État protège la pratique du sexisme et du patriarcat si l’emballage est religieux, au nom de la laïcité. Rien de tel au sein de l’Allemagne nazie qui, contrairement à la France démocratique d’aujourd’hui, était une dictature motivée par la « pureté raciale ». Les Juifs ont été discriminés par diverses lois racistes, donc pas spécialement pour leurs croyances mais pour ce qu’ils sont en tant qu’êtres humains. Un Juif pouvait être non pratiquant, athée ou converti au catholicisme, il était quand même discriminé, harcelé, spolié : interdiction du mariage et des relations extraconjugales entre Juifs et citoyens de sang allemand, interdiction pour les Juifs d’exercer certains métiers, puis confiscation des biens juifs, etc. La déportation des Juifs pour les exterminer fut le bout de la logique nazie, en germe depuis toujours au sein du IIIème Reich.

La France n’impose pas le port du voile pour stigmatiser les femmes comme ce fut le cas de l’étoile jaune pour stigmatiser les Juifs. Elle les déporte encore moins. Aucun métier n’est interdit aux musulmans et musulmanes. S’il y a bien en France des lois d’interdiction, elles ne visent en aucun cas un groupe ethnique ni les musulmans en tant que croyants. Elles visent à limiter l’expansion d’une idéologie totalitaire (l’islamisme), du communautarisme et du sexisme au nom du religieux, de la même manière que pour les autres intégrismes. Contrairement à ce que souhaitent faire croire les islamistes, les lois ne concernent pas les musulmans, mais les dérives faites au nom de l’islam. Interdire le voile dans certains lieux n’est pas interdire leurs accès aux musulmanes. Si des musulmanes sont psychologiquement dans l’impossibilité de retirer leur voile pour quelques minutes, preuve que son port n’est pas un choix mais la démonstration d’une forme de radicalité aliénante, c’est de cela dont il faut s’inquiéter. Non de lois et règlements qui s’appliquent à tous, sans distinction de sexe, d’origine ou de religion. Les musulmanes qui résistent au voilement peuvent même être protégées par la France contre les injonctions des intégristes. Rien de tel pour les Juifs allemands de l’époque.

L’instrumentalisation de la Shoah est la carte premium de la victimisation

C’est là que le message de la fresque s’enraye. Il n’est pas de dénoncer le sexisme du voile en le comparant à l’uniforme des déportés, qui illustreraient l’emprisonnement patriarcal de ses porteuses, et à l’étoile jaune qui stigmatiserait leur sexe. Il est de fantasmer sur la situation supposée dramatique des musulmans d’aujourd’hui en la comparant à la déportation puis l’extermination de six millions de Juifs pendant la seconde guerre mondiale. Cela n'est pas nouveau. Cette instrumentalisation macabre et choquante de l'histoire est inscrite depuis longtemps dans la stratégie victimaire de l'islamisme politique.

La victimisation est le cœur de sa stratégie. Le sexisme du voile en est l’outil principal. La référence à la Shoah en est le point culminant. L’islamisme politique, et aujourd’hui ses alliés d’extrême gauche, pourraient prendre pour exemple un autre génocide. Alors pourquoi celui-là ? Parce que l'Holocauste est la carte premium, le top du top de la victimisation. Par son ampleur et le traumatisme que cela a créé en Europe, dans le monde, et particulièrement en France, il n'y a pas meilleure comparaison pour espérer susciter de façon macabre l'empathie des citoyens.

Mais cette comparaison rate son objectif, sauf à semer encore plus de graines de la peur dans l’esprit d’un maximum de musulmans. Non seulement la fresque ne réussit pas à provoquer l’empathie pour faire des musulmans d’aujourd’hui les Juifs exterminés d’hier, mais en plus elle relativise l’Holocauste. Elle réduit les horreurs de cette époque à la loi de 2004 sur les signes religieux à l’école (qui concerne toutes les religions), de 2010 sur le voile intégral et les oppositions au burqini et au sexisme du voile dans le sport et en entreprise où toutes les religions sont aussi concernées. Les oppositions laïques et féministes se dressent contre le concept sexiste du voilement, pas contre les musulmanes. Les lois encadrent le port du voile, au même titre que tous les signes « religieux ». Elles ne portent pas sur les individus. Etait-ce le cas pour les Juifs ? Non. Signes religieux ou pas, les Juifs étaient visés en tant que personnes. L’islam n’est pas une ethnie. Le voile n’est pas biologique ni cousu sur le crâne de ses porteuses, au grand dam de ses prescripteurs, comme l’était l’étoile jaune sur les vêtements.

Comme je l'ai dit, l’auteur de cette fresque n'est pas le premier à avoir eu recours à cette comparaison. Le CCIF, par exemple, le fit sans complexe à de nombreuses reprises (2). Cette comparaison est écœurante, mais elle est naturelle à leurs yeux. Cela rend leur attitude encore plus effrayante.

L’étoile jaune, dans une version revisitée, avec la mention « Muslim » fut aussi exhibée à la « manifestation de la honte » contre le blasphème envers l’islam (« islamophobie ») le 10 novembre 2019. Cette manifestation fut l’apothéose de l’alliance entre l’islamisme politique et une partie de la gauche. Aujourd’hui encore, la France Insoumise assume toujours sa participation. Un partenariat qui ne se dément pas à Grenoble. La fresque de Goin permet de l’exprimer.

Julien Ailloud, candidat LFI aux élections régionales, valide l'instrumentalisation de la Shoah

À Grenoble, La France Insoumise est un bon allié de l’islamisme politique. Par exemple, le mouvement « Jeunes insoumis.es Grenoble » soutient activement les actions burqini des militantes islamistes d’Alliance citoyenne. Julien Ailloud, Candidat LFI aux élections régionales, est co-animateur du groupe thématique « Égalité Femmes-Hommes » de son parti. Soutien indéfectible des offensives sexistes pro voile et burqini d’Alliance citoyenne, lui aussi a une vision particulière de l’égalité des sexes. Il est à l’image de son parti.
Dans un commentaire d’une publication consacrée à la fresque de Goin, sur la page Facebook du média en ligne Place Gre’net (3), il n’a aucun état d’âme à intégrer la stratégie victimaire de l’islamisme, au point de valider la comparaison entre les musulmans en France aujourd’hui et les Juifs déportés et exterminés hier. Que s’est-il passé ? Sous cette publication, deux personnes échangent des commentaires. L’une d’elles, choquée par la victimisation outrancière de l’autre, lui demande : Vous pensez vraiment que les musulmans de France vont être déportés et gazés ?

Commentaire sur la Shoah

Julien Ailloud s’incruste alors dans la discussion. Non pour apaiser les esprits en remettant les choses à leur place, mais au contraire pour mettre de l’huile sur le feu : On a un candidat à la présidentielle qui parle de remigration et remet en cause la nationalité de certains citoyens français. On se rapproche progressivement de l'idée de déportation de toute une partie de notre population sans que personne ne bronche, ou en minimisant cela. Donc oui, on peut comprendre les craintes des musulman·es.

 Il a raison de pointer l’ignominie des propos d’Éric Zemmour. Mais il le fait en adoptant la même généralisation, le même processus de raisonnement et les mêmes outrances. L’un considère qu’un bon musulman est un islamiste. L’autre que les islamistes sont de simples musulmans pieux injustement traités. L’un pour dénoncer des « envahisseurs ». L’autre pour dénoncer le sort de « victimes ». L’un parle de « grand remplacement » par les « musulmans », l’autre de « déportation » des « musulmans ». La généralisation est de mise, les outrances servies à la louche.

Julien Ailloud fait mine d’ignorer que les deux périodes n’ont rien en commun. Notre régime politique est une république démocratique, donc avec des contre-pouvoirs, qui « assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion » (article 1 de la Constitution). L’Allemagne nazie était une dictature motivée par des idéaux racistes. En y ajoutant l’analyse de la fresque développée plus haut, le candidat LFI aux régionales ne défend personne. Il prend soin, comme l'auteur de la fresque, d’aller dans le sens des radicaux musulmans qui veulent fracturer notre société, et du même coup servir la soupe à l’extrême droite nationaliste. Et tout cela par l’instrumentalisation de la Shoah. Son commentaire, choquant, est une honte qu’il assume : à ce jour, il ne l’a toujours pas supprimé. Le rôle d’une personnalité politique est de rassembler, pas de cultiver les peurs par une surenchère d’outrances en jouant sur l’émotion par l’instrumentalisation d’un génocide passé. En cela, Éric Zemmour et Julien Ailloud ont des points communs.

Le 17 juillet 2005 à Paris, lors de la commémoration de la rafle du Vel d'Hiv en 1942, Simone Veil avait déclaré : Le danger n'est plus qu'on ne parle pas de la Shoah, mais qu'on en parle à mauvais escient. La France Insoumise devrait s’en souvenir.

(1) « Odieuse, intolérable », le Crif s’indigne d’une œuvre de street art à Grenoble
(2) Le CCIF et sa référence à l'Allemagne des années 30, l'arroseur arrosé
(3) Le président du Crif Grenoble-Dauphiné s'indigne auprès du maire de Grenoble

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