J'ai été éduqué dans l'islam. J'ai lu plusieurs fois le Coran. J'ai grandi, entre autres, parmi des musulmans. Mes parents sont originaires d'un pays musulman, la Tunisie, où je me suis souvent rendu. J'ai également séjourné plusieurs semaines en Algérie. J'ai vu les premiers voiles islamistes apparaitre en France dans les années 1990 (hijâb, jilbâb, niqâb) puis en Tunisie au début des années 2000, alors qu'auparavant il n'y en avait aucun. J'ai entendu les justifications du voile par des membres de mon entourage familial, en France et en Tunisie, et de mon voisinage. Je vois l'islamisme progresser dans nos quartiers populaires depuis 30 ans dont le voile est l'élément visible. Je travaille sur l'islamisme politique et le voile depuis 15 ans. J'ai écouté, lu, étudié et décortiqué des dizaines de prêches, de livres, de conférences, d'émissions télés en français, en anglais et en arabe, des prédicateurs les plus anciens à ceux d'aujourd'hui.
Jamais, jamais le moindre argument n'a été avancé pour expliquer en quoi le voile serait spirituel. Ce n'est jamais arrivé. Par contre, l'intégralité de leurs explications, du simple quidam au prédicateur le plus chevronné, est d'un phénoménal sexisme motivé par un patriarcat tout droit sorti des tréfonds de l'Histoire. L'emballage du discours peut donner parfois l'illusion d'une forme de modernité, de spiritualité (sans jamais expliquer en quoi cela serait spirituel) et d'un semblant d'émancipation conditionnée par le port d'un carcan dont les hommes sont exonérés. Mais c'est pour mieux faire passer la pilule sexiste et totalitaire dans les pays démocratiques et laïques. C'est pour mieux aller sur le terrain de la laïcité (qui leur est plus favorable) et éviter celui de l'égalité des sexes (véritable terrain concerné mais défavorable aux islamistes). Dans les pays musulmans où l'islamisme est mieux implanté, les discours ne s’embarrassent pas d'oripeaux tels que "libre choix", "liberté religieuse" ou "mon corps, mon choix", puisque contraire à son essence. Le voile est présenté tel qu'il est, dans toute sa démesure sexiste.
L'intégralité des explications pro voilement, du simple quidam au prédicateur le plus chevronné, est d'un phénoménal sexisme motivé par un patriarcat tout droit sorti des tréfonds de l'Histoire.
C'est normal. Le voile n'a pas été créé pour la spiritualité. Il a été inventé dans l'antiquité, donc bien avant l'islam, pour séparer l'universel en deux : les femmes, coupables tentatrices, et les hommes. Les femmes sont à leur tour séparées en deux catégories : celles à respecter car elles se respecteraient en se voilant pour apaiser la libido masculine, et les autres. Les islamistes ont poussé le concept à son paroxysme, plus qu'aucune autre idéologie. L'islam sert de paravent pour prétendre parler au nom de Dieu afin de légitimer leur GPS phallique. Leur obsession sexuelle et patriarcale est si énorme qu'ils ont fait du sexisme du voile leur outil identitaire et politique de prédilection.
J'ai écrit des dizaines d'articles en fournissant des sources et des analyses. D'autres ont aussi écrits des articles et des livres pour alerter, au Maghreb, en France et ailleurs. Mais rien n'y fait. Les relativistes et alliés des islamistes, notamment les féministes intersectionnelles, continuent de comparer le sexisme du voile à une croix en pendentif ou une kipa. Comparaisons hors sujets : il n'existe aucun signe religieux matériel en islam car cette religion rejette toute forme de fétichisme et d'idolâtrie. Considérer le voile comme un signe religieux en islam, en faire l'équivalent d'une croix chrétienne, est considéré comme un pêché par cette religion. De plus, la croix est portée par hommes et femmes. Et jamais une femme n'a brandi la "pudeur" ni n'a été taxée d'impudique ou insultée de "pute" si elle ne portait pas sa croix. C'est pour tout cela, et pour d'autres raisons que j'avais détaillées dans un de mes articles (1), qu'en parallèle de toutes les affaires de voile islamiste pour faire céder la République et faire reculer la lutte pour l'égalité des sexes, il n'y a jamais eu d'affaires de croix ou de voile catholique à l'école ou à la piscine par exemple.
Pour les perruques des juives orthodoxes, elles sont ultra minoritaires et n'ont aucun désir prosélyte et politique. Le fait de porter une perruque (motivé par un sexisme équivalent au voile) montre justement le désir de discrétion. Quand on compare les livres, prêches, conférences, émissions télé, etc. consacrés aux "bienfaits du voile" islamiste et ceux consacrés aux perruques des intégristes juives, le rapport est au moins de 1 pour 1000. De plus, en usant de cette comparaison, les relativistes reconnaissent que le voile est bien révélateur d'un intégrisme religieux puisque comparé aux juives intégristes.
Quant à la kipa, elle n'a jamais servi d'outil prosélyte ni d'entrisme, et son port n'a jamais été conditionné par des arguments sexuels et moraux patriarcaux (ou matriarcaux).
L'islam sert de paravent pour prétendre parler au nom de Dieu afin de légitimer le GPS phallique des islamistes.
L'autre style de comparaison pour tenter de défendre l'indéfendable est la comparaison avec d'autres vêtements ou accessoires comme la mini-jupe, les talons aiguilles (2), la casquette (portée uniquement par des femmes, c'est bien connu...) et même le sac-à-main… Comme si le voile, telle une mini-jupe, se portait selon la météo, l'activité ou l'envie du moment. Depuis quand la mini-jupe serait prescrite par des intégristes religieux et devrait être portée en permanence, quelles que soient les circonstances si la femme concernée "risque" de croiser un homme qui n'est pas de sa famille, pour des raisons morales patriarcales ? Comme s'il y avait une idéologie totalitaire qui prescrivait le "libre choix" de l'obligation du sac-à-main sous peine d'être accusée d'être "nue" (ne pas être voilée serait être nue. La femme étant considéré comme un objet sexuel, son crâne serait un organe génital et ses cheveux équivalents au pubis) et d'aller brûler en Enfer pour l'éternité. Je n'ose imaginer la colère qu'auraient pu ressentir, face à un tel relativisme, les femmes menacées, violentées, emprisonnées, assassinées parce qu'elles ont résisté au sexisme du voilement.
L'aveuglement des féministes intersectionnelles sur le sexisme du voile ne peut plus être expliqué par l'ignorance. C'est un choix motivé par un paternalisme et un orientalisme séculaires. A l'intersection des discriminations, l'égalité des sexes peut céder le passage au respect du patriarcat oriental et de l'intégrisme musulman. Le sexisme devient défendable s'il est exotique.
Pour justifier le charme folklorique ressenti envers ce fétichisme vestimentaire masochiste, lui-même justifié par une "pudeur" définie et dictée par des hommes, les relativistes brandissent la parole des "concernées". Elles ont raison. Il faut bien sûr les écouter. Mais le fait qu'une partie des femmes voilées déclare se sentir mieux en se voilant et militent pour son extension seraient un argument "féministe" pour soutenir ce sexisme. Les féministes intersectionnelles refusent d'interroger ce mécanisme psychologique, fruit d'un prosélytisme d'hommes depuis plusieurs décennies, qui pousse une femme à la servitude volontaire sur des bases sexistes. Quand une femme battue déclare vouloir retourner auprès de son mari car c'est son choix, tout le monde s'interroge. On cherche à comprendre quel est le processus psychologique qui amène à cela. C'est la même chose pour les constructions genrées, le fait que des femmes et des hommes s'orientent naturellement vers des métiers dits "féminins" ou "masculins", adoptent des comportements qui seraient naturels selon le sexe. On remonte jusqu'à la petite enfance, l'éducation des parents, aux jouets, et même l'analyse des couleurs attribuées aux filles et aux garçons, pour tenter de comprendre ce mécanisme. Mais dès qu'il s'agit du voilement, elles abdiquent tout esprit critique sous leurs faux airs de tolérance. C'est le black-out. S'arrêter au discours de la servitude volontaire (renommée "libre choix" et "émancipation" par les intersectionnelles) sans chercher à comprendre comment s'est construit ce consentement, n'est pas du féminisme. C'est de l'obscurantisme.
La défense de ce sexisme par relativisme a de graves conséquences. Elle assigne les concernées à leurs conditions sans possibilité de s'en émanciper (puisque leur servitude volontaire serait "émancipatrice"). La défense et la banalisation du sexisme du voilement par les intersectionnelles, et leur rejet de la lutte pour s'émanciper de ce carcan, permet aussi de faciliter le voilement des musulmanes qui ne le sont pas encore.
Enfin, ce soutien aux voileurs, cette participation à l'extension du voilement des musulmanes et à la diabolisation des corps de toutes les femmes, participe du même coup à la stratégie politique des islamistes dont le voile est l'outil de développement. Les intersectionnelles sont leurs alliées. Certaines militent même concrètement à leurs côtés.
Le "féminisme sexiste" intersectionnel, volontaire oxymore, représente un danger pour le féminisme dont le voile est le linceul.
(1) Voile "islamique"/voile des nonnes et croix, une fausse comparaison religieuse pour dissimuler un vrai racisme sexuel
(2) Le voile, un "marqueur de féminité" comme la mini-jupe ou les talons aiguilles ?