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Les débats autour de l’intégrisme musulman sont nombreux, que ce soit sur les réseaux sociaux, par des hommes et femmes politiques, des intellectuels ou des journalistes. La plupart d'entre eux tiennent des propos remplis d’erreurs, de confusions, de manques de cultures et de connaissances sur ces sujets. Les mots et expressions utilisés pour parler des islamistes sont importants. Mal utilisés, ils contribuent aux amalgames que leurs utilisateurs souhaitent pourtant éviter. “Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde” disait Albert Camus. C’est particulièrement vrai dans ce domaine.
L’une des plus grandes confusions est l’utilisation du terme “islamisme radical”. Cette expression sous-entendrait l'existence d'un “islamisme modéré” ? Pour l’extrême droite ou le fascisme, précise-t-on “l’extrême droite radicale” ou le “fascisme radical”, sous-entendant qu’il y aurait un “fascisme modéré” ? Ces mouvements sont radicaux par définition, tout comme l’islamisme. Cette expression est un pléonasme. On mélange ici islam et islamisme. C’est d’“islam radical”, de “musulmans radicaux” ou d’“islamisme” tout court dont il est question. C’est-à-dire les dérives extrémistes faites au nom de cette religion. Ce pléonasme qui semble anecdotique a de lourdes conséquences car il crée la confusion et alimente les peurs. Qui seraient les “islamistes modérés” ? Ceux qui seraient contre les attentats mais qui militent pour un islam politique ? Deux raisons expliquent cette erreur sémantique. Elle est d’abord le fruit de la confusion entre les tenants d’un islamisme violent (ceux qualifiés d’“islamistes radicaux”) et ceux préférant un islamisme politique. Or, leurs objectifs sont plus ou moins les mêmes. Ce sont les méthodes et moyens pour y parvenir qui diffèrent. L’autre raison vient aussi du flou sur la définition de l’islamisme. Finalement, la véritable question est là : avant de répéter partout “islamisme radical”, qu’est l’“islamisme” tout court ?
Selon le dictionnaire Larousse, l'islamisme "désigne, depuis les années 1970, un courant de l'islam faisant de la charia la source unique du droit et du fonctionnement de la société dans l'objectif d'instaurer un État musulman régi par les religieux."
Le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL, créé par le CNRS) apporte une définition plus détaillée : "Mouvement politique et religieux prônant l'expansion de l'islam et la stricte observance de la loi coranique dans tous les domaines de la vie publique et privée. Aujourd'hui, désigne plus particulièrement un mouvement politique et idéologique se réclamant des fondements de l'islam et qui peut prendre un caractère extrémiste".
Cette définition comporte une approximation et une confusion. Au moins un mouvement islamiste n'est pas politique mais plutôt sectaire. De plus, l'islamisme est par définition extrémiste. Le CNRTL tombe dans le travers du pléonasme "islamisme extrémiste", autrement dit "islamisme radical", suggérant de facto qu'il existerait un "islamisme modéré".
Ces définitions partielles, réductrices et approximatives montrent la difficulté à définir un terme sur lequel peinent aussi des universitaires spécialistes du sujet.
Formulé pour la première fois au XVIIIe siècle, le terme "islamisme" est typiquement français. Il était l'équivalent de "christianisme" pour la religion chrétienne. Devenu désuet, il réapparait dans la deuxième moitié du XXe siècle, avec le sens que nous lui connaissons aujourd'hui, face à l'essor de l'intégrisme musulman contemporain né dans les années 1920. La diversité des courants intégristes est telle qu'une simple définition est impossible. En me basant sur les écrits de différents spécialistes (Gilles Kepel, Antoine Sfeir, Olivier Roy, Ghaleb Bencheikh et d'autres), mes observations issues de mes expériences et mes réflexions, j'ai tenté d'apporter, si ce n'est une définition courte et précise, une définition large et argumentée.
Il existe différentes formes et différents degrés au sein de l’islam radical. Tous les radicaux ne sont pas des militants politico-religieux actifs (même s’il y en a beaucoup), et encore moins des terroristes en puissance. Nous pouvons toutefois commencer à parler d’islamisme lorsque la religion devient englobante, totalisante. Chaque acte de la vie, chaque instant, sont régis et pensés en fonction du Coran, des hadiths et des avis des "savants". Le libre arbitre est réduit à peau de chagrin voire supprimé. Le Coran est prétendument interprété à la lettre sans tenir compte du contexte ou si peu. La religion sort de la sphère privée pour demander à autrui des aménagements contraignants, des privilèges, en raison de sa foi. Ceci afin d'adapter le contexte plutôt que de s'y adapter.
L'islamisme inclut le fondamentalisme et son corollaire, l'intégrisme.
L'islamisme est d'abord l'approche fondamentaliste des textes coraniques par la volonté d'appliquer le Coran de la façon la plus littérale possible. L'objectif est de revenir aux fondements de la foi du VIIe siècle, un retour au message originel (bien plus mythifié que basé sur une réalité historique). Sa vision du monde et de l’islam est rigoriste et archaïque. Pour être intègre à son fondamentalisme, l'individu considère que l'environnement doit s'adapter ou, au mieux, se convertir à (sa vision de) l'islam. Il sort la religion de la sphère privée pour influer sur cet environnement qui peut être l'entourage proche, son lieu de travail, son club de sport ou autres associations, son quartier, sa ville, voire la société entière. C'est l'intégrisme.
L'intégrisme s'appuie sur le fondamentalisme pour contraindre un groupe, un État ou l’ensemble d’une société à s’adapter ou adopter des valeurs et une "loi divine" supérieures à celles des Êtres humains. Ils cherchent à islamiser, ou au moins à adapter religieusement, l'environnement social, familial ou professionnel dans lequel ils se trouvent. Que ce soit par la violence ou par l’endoctrinement à travers le prosélytisme, l’action sociale, éducative, culturelle ou politique, ils veulent imposer leur foi et leur vision du vrai et du bien à tous, y compris leur vision de la foi à tous les musulmans. Pourquoi réfléchir et user de la raison puisque tout serait écrit dans un livre, le coran ? Il faut juste croire et obéir à leur vision de l’islam. Toute autre interprétation religieuse est considérée comme une trahison de la religion. A leurs yeux, ils sont du côté de Dieu. Comment pourraient-ils avoir tort ?
L'islamisme n'étant pas uniforme, je pourrais le partager en trois grands groupes : l'islamisme "quiétiste", l'islamisme djihadiste et l'islamisme politique.
Les "salafistes quiétistes" sont dans une logique de prédication, de rééducation morale de la communauté musulmane. Selon eux, les musulmans se sont éloignés des pieux anciens (les salafs), les premières générations de musulmans, par la pratique d'un islam dévoyé. Ils auraient pollué leur religion par des coutumes greffées avec le temps et leur adaptation au contexte contemporain. Cette "rééducation" des musulmans se fait pacifiquement. Les salafistes quiétistes rejettent la politique, sans toutefois hésiter à y recourir localement pour obtenir satisfaction de leurs demandes. Pour eux, la société est dépravée. Ils préfèrent s'en détacher le plus possible. Des territoires, des quartiers, sont ainsi islamistisés (commerces, activités de loisirs, etc.). Cela leur permet de se concentrer sur leur obsession des multiples normes et interdits pour se rapprocher de la pureté islamique idéale à leurs yeux. Une pureté qui ne pourrait être atteinte que par un mimétisme le plus fidèle possible du Prophète et de ses compagnons. Ce salafisme quiétiste, qui vire souvent vers un fonctionnement sectaire, est très minoritaire chez les Français musulmans. Sa visibilité à travers ses tenues vestimentaires comme le niqâb et le jilbâb pour les femmes, ou le qamis pour les hommes, le rendent spectaculaire et donnent une fausse impression de surreprésentation.
Rares sont les soutiens au salafisme, y compris chez les musulmans (même si nombre d'entre eux sont sensibles à leurs prêches). Leurs choix trop flagrants et leur désir de rupture permettent de faire l'unanimité contre eux. Ce qui n'empêche pas leur expansion prosélyte et leur dynamisme économique sur le marché du halal.
Le pouvoir financier du salafisme wahhabite (Arabie Saoudite) est colossal dans la diffusion de sa doctrine à travers le monde. Il subventionne la création de mosquées et d’associations locales, pour développer le salafisme quiétiste, tout autant que des projets internationaux et des organisations intergouvernementales telles que l’Organisation de la Coopération Islamique (OCI). Cette organisation possède même une délégation permanente à l’ONU.
Certains islamistes, encore plus minoritaires, passent du quiétisme à l'action violente par des actes terroristes. Ce sont les salafistes djihadistes. Le djihadisme inscrit ses actions dans une temporalité courte. Les résultats doivent être rapidement obtenus. Il opte donc pour la lutte frontale contre la société en utilisant les attentats et la guerre. C'est ce que des journalistes et politiques nomment par pléonasme "islamisme radical". Les frontières entre salafisme quiétiste et djihadiste sont poreuses. Si des "quiétistes" condamnent le terrorisme, un certain nombre "comprennent" et excusent les djihadistes. Certains les rejoignent. Mais d'autres passent directement à l'action violente sans être passés par la case quiétiste. C'est le cas de certains convertis ou de personnes culturellement musulmanes qui croient découvrir l'islam à travers les recruteurs djihadistes et Internet.
L'Arabie Saoudite a soutenu des djihadistes, quitte à ce que cela se retourne parfois contre elle. Le wahhabisme a su se faire une place en France grâce aux pétrodollars, même s’il est moins médiatique que les Frères Musulmans.
Le djihadisme actuel est issu du salafisme. Mais une part de ses influences idéologiques trouve aussi sa source chez les Frères Musulmans. Sayyid Qutb (1906-1966) fut un membre influent de la confrérie. Il est reconnu pour avoir fait la jonction entre l'action politique des Frères et l'action violente. La confrérie a eu ses périodes de violence. Mais, constatant l'impasse de cette méthode, elle s'est recentrée sur l'investissement en politique depuis plusieurs décennies. Même si, ici ou là, des Frères Musulmans poursuivent leurs actions violentes selon les circonstances, comme le Hamas en Palestine, et que des théologiens fréristes comme Youssef Al-Qaradawi soutiennent occasionnellement le terrorisme.
Dans la diversité des courants islamistes, les Frères Musulmans sont donc l'autre branche importante de cet intégrisme religieux. Tout comme le salafisme, ils ont la volonté de "rééduquer" les musulmans pour les réislamiser (à leur façon). Mais plusieurs éléments les distinguent. Contrairement aux salafistes quiétistes, la rééducation des musulmans n'est pas le but final. Il faudrait amener les musulmans à adhérer à l'idéologie frériste afin qu'elle devienne le seul islam valable, première étape pour islamiser ensuite l'ensemble des sociétés. C'est le point commun avec les salafistes djihadistes. La différence est qu'ils sont très patients, alors que les djihadistes veulent tout et maintenant. Un des principes des Frères Musulmans est “on a le temps”. Que ce soit dans 50 ou 70 ans, ils sont convaincus qu’ils réussiront à "réislamiser" tous les musulmans, dominer les pays musulmans et faire fléchir l’ensemble des pays non musulmans dans lesquels leurs coreligionnaires sont une minorité numériquement importante. Il suffit d’être stratégique et patient. Ils ne rejettent donc pas la politique et la société au sens strict. Au contraire, leur projet est entièrement politique et tourné vers la transformation de la société. Ils présentent un visage moderne et n'hésitent pas, en apparence, à reconnaître les lois et les règles des pays laïcs et démocratiques. C'est une stratégie politique qui vise à instrumentaliser des valeurs et concepts (Droits Humains, féminisme, démocratie, laïcité, etc.) pour les redéfinir à leur convenance afin, ensuite, de mieux les retourner contre la République. L'intérêt est l'imposition de leurs spécificités et de "l’identité islamique" à l'ensemble de la société à travers les moyens que leur offre la démocratie. Pour cela, ils instrumentalisent quelques cas intégristes en se victimisant, pour tester, par petites touches, voir comment la société réagit, puis avancer. Par leur obsession sexuelle et patriarcale, le voile est leur outil de prédilection. En France, cela dure médiatiquement depuis la première affaire impliquant cet outil, dans un collège de Creil en 1989. Depuis, ils ont fait bien du chemin. Des associations plus récentes, comme le Comité Contre l'Islamophobie en France (CCIF), ont pris le relais et ne s’embarrassent plus des petits pas. Avec leur stratégie victimaire et d'inversion des rôles, ils ont réussi à leurrer une partie de la société qui en est venue à les soutenir. Ils peuvent à présent avancer à grands pas : toute opposition sera considérée comme raciste, "islamophobe" (terme détourné pour tenter de faire du blasphème un synonyme de "racisme").
Originaires d'Égypte où ils sont bien implantés, les Frères Musulmans portent des noms différents ailleurs : l’AKP au pouvoir en Turquie, Ennahda en Tunisie, l'Union des Organisations Islamiques de France (UOIF, récemment renommée "Musulmans de France" dans leur désir de mainmise), le Conseil Européen de la Fatwa et de la Recherche (CEFR), etc.
Les bases idéologiques de tous ces mouvements sont celles des Frères Musulmans. Mais chacun adapte sa stratégie selon le lieu et les circonstances. Tous ont en commun d'afficher une vitrine acceptable, pour séduire et rassurer, afin de mieux dissimuler leur arrière-cour. Mais lorsque les circonstances sont favorables, la vitrine n'est pas nécessaire. Le Hamas par exemple est officiellement la branche palestinienne de la Confrérie. Pour imposer une théocratie en se servant du conflit avec Israël, il n'hésite pas à faire usage de la violence contre les Palestiniens tout en se chargeant de l'aide sociale, de l'éducation, de la censure, etc. En France, c'est plus compliqué. L'UOIF, le CCIF et consorts se sont adaptés et jouent merveilleusement de leur vitrine pour dissimuler une arrière-cour qui n'a rien à envier aux Frères égyptiens. D’autres courants islamistes existent, comme par exemple le Tabligh. Mais ils sont plus minoritaires. Tous ces courants ont la même matrice idéologique et ne sont pas hermétiques. Il existe également une diversité de sous-courants chez chacun d'entre eux. Salafistes et Frères Musulmans se sont souvent alliés. Lors des grandes périodes de répression en Égypte, les Frères ont été accueillis en Arabie Saoudite. Sur les zones de guerre, Frères et salafistes peuvent également combattre côte à côte. En France, le CCIF organise ou participe à des conférences communes avec des salafistes. Certains d'entre eux sont mêmes des soutiens officiels de l'association.
Mais si leurs objectifs sont les mêmes, leurs stratégies pour les atteindre diffèrent. Salafistes et Frères Musulmans sont donc également souvent rivaux. Il n'est pas rare qu'ils se combattent sur les zones de guerre et s'opposent géopolitiquement, comme actuellement au Moyen-Orient. Dans tous les pays où vivent des musulmans, il existe également une lutte d'influence pour le contrôle des lieux de culte. En France, l’UOIF ou Tariq Ramadan critiquent le wahhabisme. Leurs méthodes sont bien plus modérées que celles d’Al-Qaïda et ils dénoncent les attentats (sous-entendant toutefois que Charlie Hebdo l’a quand même un peu cherché), puisqu’ils militent pour un islamisme politique. En les comparant ainsi aux islamistes djihadistes, plutôt que de les comparer à des musulmans rationalistes, cela permet aux uns de passer pour des islamistes modernes et émancipateurs, donc plus modérés que les autres… Voilà comment naît l’erreur du terme "islamisme radical" pour qualifier les djihadistes.
Il existe aussi des dissensions à l'intérieur même de ces deux branches islamistes. Le salafisme est en proie à des conflits internes. Les quiétistes dénoncent régulièrement les actes violents des djihadistes. Chez les Frères Musulmans, tous reconnaissent l'importance de la pensée de Hassan Al-Banna (cofondateur de la Confrérie) mais ne sont pas forcément d'accord sur la "sanctification" de la personne. Selon les courants également, des idéologues et théologiens fréristes sont plus populaires que d'autres. De plus, certains visent directement la construction d'une internationale islamique (Oumma) quand d'autres désirent d'abord s'enraciner politiquement au niveau local. Un ancrage qui permettra de mieux construire l'Oumma. Il faut également tenir compte du contexte national de chacun (les Frères musulmans soudanais n'agissent pas de la même façon que les Frères en France) et des intérêts géopolitiques. Par exemple, les islamistes turques issus de l'idéologie des Frères musulmans s'opposent souvent aux Frères égyptiens et qataris (principale capitale financière de la Confrérie) dans leur désir de leadership. Sans compter les ambitions personnelles des uns et des autres, sources de création de différentes "chapelles". Sur le marché de "l'islamophobie" par exemple, la Coordination contre le Racisme et l'Islamophobie (CRI) est en concurrence avec le CCIF. Tariq Ramadan s'est aussi construit différentes inimitiés, notamment au sein de l'UOIF.
A court terme, le plus grand danger est évidemment l’islamisme djihadiste. Les partisans d’un islamisme violent sont, par définition, des bourrins. Si les dégâts sont incalculables en termes de morts et de drames, on en perçoit plus facilement les dangers pour la République et pour les valeurs humanistes et universalistes. Les djihadistes veulent supprimer le plus rapidement possible la laïcité et plus généralement la démocratie. La patience n’est pas leur fort. Le consensus sur leur dangerosité est donc assez facile. Même Edwy Plenel ne les soutient pas. C'est dire… Ils ne parviendront jamais à atteindre leurs objectifs par ces méthodes. Sauf à vouloir créer un climat de guerre civile en dressant les non musulmans contre les musulmans. Quant au salafisme quiétiste, par ses tenues vestimentaires caricaturales, son absence de langue de bois sur ses intentions et son séparatisme assumé avec la société, peu le soutiennent.
Ce n'est pas le cas de l'islamisme politique qui trouve de nombreux soutiens, à la fois auprès des musulmans comme d'une bonne partie de la gauche. A long terme, il représente ainsi le plus grand danger.
Les Frères Musulmans déclarent vouloir respecter la laïcité, la République et la démocratie, du moins dans un premier temps. A la différence des terroristes et de l'ensemble du salafisme, ils rassurent et/ou culpabilisent une partie de la population. Ils clament haut et fort qu'ils ne souhaitent pas supprimer la laïcité ni la liberté d’expression. Cette rhétorique est habile car nous comprenons qu’ils ont le désir d'adapter l’islam à la République. En réalité, il n’est nullement question pour eux de l'adapter, mais d'adapter la République et la laïcité à (leur vision de) l'islam. Quant à la liberté d’expression, ils sont d’accord. A la condition que ce soit à travers leurs critères découlant de Dieu (ou plutôt de leur interprétation de sa parole) et non des critères laïcs découlant des Êtres humains. De là vient leur rêve de faire du blasphème envers l'islam (l'islamophobie) un délit. Ainsi, si le côté rassurant ne suffit pas, la stratégie victimaire vient à la rescousse pour culpabiliser. Ils se présentent comme d'éternelles victimes dont l'histoire coloniale et le racisme anti Maghrébins servent de prétexte.
C’est cet islamisme qui prospère et se développe depuis une quarantaine d’années en France, très actif sur le terrain et internet. C'est à eux que nous devons la multiplication des hijâbs puis l’apparition des jilbâbs et niqâbs (les Frères Musulmans ont facilité le développement du salafisme), la création du marché halal en collaboration avec les salafistes (qui sert à la fois de support prosélyte et de source de financement pour développer ce même support), les revendications communautaristes, la remise en cause de la mixité, le détournement des valeurs républicaines pour mieux les retourner contre la République en essayant de la culpabiliser (par la victimisation permanente, les accusations “d’islamophobie” et/ou de “néocolonialisme” et de racisme, contre toute forme de critiques).
Si les islamistes politiques ne sont pas proches des djihadistes et diffèrent en apparence avec l'ensemble des salafistes, ils leur sont quand même bien utiles. Après chaque vague d’attentats, les islamistes politiques, représentants auto proclamés des musulmans, n'interviennent pas pour condamner spécifiquement les attentats. Ils les condamnent pour expliquer que les premières victimes seraient les musulmans par l'augmentation des discriminations suite à ces événements. Un argument discutable vu les circonstances mais efficace dans leur stratégie victimaire. L’islamisme politique passe ainsi pour un moindre mal face au djihadisme. Et le hijâb devient plus rassurant que le niqâb… Voilà comment crée-t-on la confusion entre les citoyens. Ils ont l’impression d’avoir le choix entre la peste à court terme (le terrorisme) et le choléra à long terme (l’islamisme politique). Les musulmans rationalistes, eux, sont pris entre deux feux.
Tous ces courants islamistes, quiétistes, djihadistes ou politiques, ont deux obsessions fondamentales communes. Ils sont obsédés par les juifs, dont le conflit israélo-palestinien sert de catalyseur, et par les femmes. Il y a une obsession absolument colossale autour de la sexualité, à travers le corps des femmes et des "conséquences" supposées sur la société qui mèneraient vers le désordre social (fitna). Cette obsession sexuelle et patriacrale est si énorme que le corps féminin est devenu une arme politique dont ils se servent comme cheval de Troie pour tester nos réactions de résistance et mieux les affaiblir. Le hijâb, puis ensuite le jilbâb, le niqâb et dernièrement le burqini (même si celui-ci ne fait pas l’unanimité chez les islamistes) en sont donc les outils matériels. Le corps des femmes est devenu un champ de bataille où se joue non pas l’avenir de l’islam mais du maintien de traditions sexistes et patriarcales sous couvert du religieux. Ceci pour lutter contre des valeurs qui à leurs yeux ne seraient qu’occidentales et ne pourraient pas s’appliquer aux musulmans sous peine de perdre leur culture et leur identité. Ces voiles n’ont rien de religieux. Ils sont éminemment sexistes et politiques. Ainsi, s’il n’est pas toujours facile de déceler les subtilités de l'islamisme, le voile sous toutes ses formes en est l’élément le plus visible. Même si nombre de leurs porteuses n'en ont pas conscience.
A la lumière de ces explications, “islamisme radical” ne veut rien dire. Soit nous parlons d'"islamisme", soit d'"islam radical". Puis, pour en distinguer les différentes formes, nous pouvons les décliner en "salafisme quiétiste" pour les "repliés sur-soi", en "islamisme djihadiste" et "islamisme politique" pour les autres. Cette classification théorique est, bien entendu, plus complexe en réalité. Les différences sont souvent infimes selon les circonstances et les individus. Un musulman peut sembler modéré à son travail ou son club de sport mais être antisémite (en s'appuyant sur le religieux) et avoir une vision ultra sexiste de la femme par une conception religieuse proche du salafisme ou des Frères Musulmans. Un autre peut ne ressentir aucun désir de commettre un attentat mais reconnaître les terroristes comme les défenseurs d'un islam qui serait agressé par "l'Occident". Un autre encore peut se définir comme Frère Musulman tout en adoptant des éléments qui relèvent du salafisme. Des islamistes femmes peuvent militer pour l'islamisme politique et ne pas être (encore) voilées. De plus, de nombreux musulmans ignorent qu'ils adhèrent à l'interprétation islamiste de l'islam. Ils et elles pensent être de simples musulman(e)s convaincu(e)s d'appliquer l'islam véritable transmis par ce qu'ils nomment les "savants". C'est le cas des musulmanes qui font le faux "libre choix" du port du voile.
Dans ce contexte et ces confusions, les musulmans rationalistes et laïques, qu’ils soient philosophes, écrivains, islamologues, théologiens, féministes ou simples citoyens, peinent à se faire entendre. Ils sont coincés dans un étau à trois côtés : entre l'extrême droite musulmane (les islamistes et ultra identitaires "musulmans"), la frange de la gauche qui soutient cette extrême droite religieuse en la considérant comme simplement musulmane, et l'extrême droite traditionnelle (Rassemblement National et mouvements nationalistes). Cette dernière se délecte de tout cela. Elle valide avec plaisir l'islamisme comme étant l'islam tout court. Puisque les islamistes le disent et qu'ils sont soutenus par une partie de la gauche, pourquoi les contredire ? Cela permet d'effrayer la société et de favoriser le vote RN : un "islamiste radical" serait le synonyme de djihadiste, les autres islamistes seraient de simples musulmans. Dans ce contexte, il ne reste qu'un seul droit aux musulmans, et surtout aux musulmanes, qui rejettent l'islamisme et son symbole politico-sexiste qu'est le voile : se taire. Telles sont les lourdes conséquences.