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Naëm Bestandji

Féminisme / Universalisme / Laïcité

dossiers - Islamisme politique - Sénat, voile

Commission d'enquête sénatoriale sur la radicalisation islamiste : mon audition (1ère partie)

Par Naëm Bestandji . Publié le 24 Janvier 2020 à 10h53

"Le Sénat a créé une commission d'enquête sur les réponses apportées par les autorités publiques au développement de la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre, à la demande du groupe Les Républicains" (1).

J'ai été auditionné par cette commission le 7 janvier 2020 pour partager mon vécu, mon expérience de terrain, mes analyses ainsi que mes pistes de réflexion pour lutter efficacement contre l'islamisme politique.

Mon audition fut enregistrée en audio. Des extraits retranscrits seront inclus dans le bilan final de la commission qui sera rendu public en mai 2020.

Le texte qui suit est le compte-rendu intégral de mon intervention. Pour une lecture adaptée, je l'ai divisé en trois parties publiées séparément (liens vers les autres parties en fin de celle-ci).

Préambule

En préambule, je tiens à exprimer une profonde émotion. En effet, nous sommes le 7 janvier 2020. Il y a très exactement cinq ans jour pour jour, dans cette ville, a eu lieu l'attentat contre Charlie Hebdo. Parmi les victimes, il y avait Charb. Quelques temps auparavant, il avait publié un livre intitulé "Lettres aux escrocs de l'islamophobie". Un livre et un titre qui n'ont jamais été autant d'actualité qu'aujourd'hui. J'aborderai justement tout au long de mon propos ces "escrocs" qui soutiennent l'islamisme politique.
Jamais je n'aurais imaginé il y a cinq ans, quand je manifestais le 11 janvier 2015 à Grenoble sous le slogan "Je suis Charlie", jamais je n'aurais cru que je me trouverai cinq ans plus tard face à des représentants de la Nation, dans un des lieux les plus importants de la République française, pour partager mon expérience et analyse sur l'islamisme politique.
Il y a parfois des hasards du calendrier lourds de symboles.

Présentation et définitions

Je vis depuis toujours en banlieue populaire de l'agglomération grenobloise. Par mon vécu d'habitant de ces quartiers, par mon investissement dans des associations de quartier puis par ma profession d'animateur socio-culturel auprès des jeunes et des familles dans ces mêmes quartiers et, enfin, par ma vie privée (j'ai la chance d'avoir une double culture : laïque et musulmane, française et tunisienne), j'ai pu constater très tôt l'apparition et l'expansion de l'islamisme. Cela m'incita à participer à la création du mouvement NI Putes Ni Soumises, dont j'avais fondé et présidé le comité de Grenoble, puis à entamer des recherches universitaire en Histoire sur l'islam radical et les femmes.

Ancien travailleur social dans les quartiers populaires, j’ai très tôt constaté l’existence d’un décalage entre ce que je vivais dans les quartiers populaires et les réactions constatées au niveau national. Par exemple, le non-respect de la minute de silence en janvier 2015 a beaucoup choqué. Ce qui m’a choqué c’est que les gens soient choqués. Depuis 30 ans, un gouffre s’est créé entre les quartiers populaires et le reste de la population, sans que le reste de la population (y compris nos politiques) ne s'en aperçoive ou ne s'y intéresse.

Pour être sûr que nous parlions le même langage, je vais définir ce que sont, selon moi, la radicalisation et l'islamisme.

La radicalisation est l'approche extrémiste d'un sujet ou d'une idéologie. Cela peut concerner la politique, l'économie comme la religion par exemple. "Radicalisation" n'est donc pas synonyme de "terrorisme". Il en est juste une des formes. "Islam radical" est le synonyme d'"islamisme".

Pour simplifier, l'islamisme est tout d'abord l'approche fondamentaliste des textes coraniques par une volonté d'appliquer le Coran de la façon la plus littérale possible. L'objectif est de revenir aux fondements de la foi du VIIe siècle. Pour être intègre à son fondamentalisme, l'individu considère que l'environnement doit s'adapter ou, au mieux, se convertir à (sa vision de) l'islam. Il sort la religion de la sphère privée pour influer sur cet environnement qui peut être l'entourage proche, son lieu de travail, son club de sport ou autres associations, son quartier, sa ville, voire jusqu'à la société entière. C'est l'intégrisme.

Cet ensemble forme l'islamisme qui peut se diviser en deux tendances. L'islamisme djihadiste, minoritaire, a une temporalité courte : les résultats doivent être rapidement obtenus. Il opte donc pour la lutte frontale contre la société en utilisant la violence des attentats. C'est ce que des journalistes et politiques nomment "islamisme radical". Terme erroné qui est un pléonasme. L'islamisme est, par définition, radical. Il ne viendrait à l'idée de personne, par exemple, de dire "nazisme radical" sous-entendant qu'il y aurait un nazisme modéré.

Les islamistes politiques veulent s'investir dans la société pour la changer de l'intérieur, la faire plier.

L'islamisme politique représente l'écrasante majorité des islamistes. Les différences avec les djihadistes sont moins théologiques que sur les méthodes et la temporalité. Ses militants sont religieusement tout aussi radicaux que les djihadistes, mais ils ne luttent pas frontalement contre la société. Au contraire, ils veulent s'y investir pour la changer de l'intérieur, la faire plier. Alors ils s’investissent dans des syndicats, dans les écoles, dans les associations, etc. pour faire prévaloir leurs valeurs. Leur temporalité est le temps long. Ils ne pensent pas en terme de mois ni même d'années. Ils pensent en terme de générations. Cela crée un décalage avec la temporalité du reste de la population, dont nos représentants politiques qui pensent en terme de durée de mandats. Ce décalage est une des explications de l'avancée de l'islamisme politique qui, prenant son temps, avance suffisamment lentement pour être indolore. Parmi les exemples les plus flagrants de ces dernières années, il y a Europe Ecologie Les Verts ou le Planning familial qui, par leurs dérives relativistes facilitées par l'investissement individuel d'islamistes en leur sein, se laissent lentement piéger. Pour se faire, l'islamisme use de trois éléments.

La victimisation

Elle est le cœur de la stratégie politique de l'islamisme. Elle a pour origine le racisme et les discriminations bien réels subis par les Français issus de l'immigration des Trente Glorieuses. La ghettoïsation urbaine en devint le ferment. Au mieux, on nous renvoyait constamment à l'origine de nos parents. Au pire, on nous disait que nous ne sommes pas des vrais Français. Le Front National par exemple a largement contribué au développement de l'islamisme. Les extrêmes se nourrissent les uns des autres. Je me souviens, au début des années 1990, de certains prêcheurs qui venaient vers nous pour nous dire "elle a donné quoi la "marche des beurs" en 1983 ? Rien. C'est normal, tu ne seras jamais vraiment Français. Tu es musulman". La victimisation permanente, surfant sur un fond de réalité, a facilité la racialisation de l'islam en transformant l'adhésion à une idéologie religieuse en peuple, en ethnie. On nous proposait d'être musulman avant d'être Français. Une identité plus accueillante là où la citoyenneté nous était présentée comme étrangère. Dans tous les pays où ils sont minoritaires, les islamistes se présentent en victimes. Les musulmans étant minoritaires dans notre pays laïc, la stratégie victimaire, notamment par la racialisation de l'islam, était le bon angle. Elle n'a cessé de se perfectionner depuis. Le CCIF par exemple en est l'un des résultats les plus aboutis.

Dans tous les pays où ils sont minoritaires, les islamistes se présentent en victimes.

Les premières victimes de cette évolution ont été les filles. Les islamistes sont obsédés par la sexualité. Ils sont des obsédés sexuels. Toute leur vie est organisée autour des relations entre hommes et femmes. Du matin au soir et jusqu'à leur mort, ils ne pensent qu'au sexe dont les femmes porteraient la responsabilité de la gestion de la libido des hommes. L'islam n'est que le moyen de réguler leurs mœurs. Tout imprégnés de leur culture patriarcale, bien plus obsédés par le sexe et le corps des femmes que par la religion, ils ont trouvé là l'outil principal de leur action politique : le voile.

Le sexisme du voile est l'outil politique principal de l'islamisme

Rendre visible la racialisation de l'islam n'est, a priori, pas chose aisée. L'adhésion à une idéologie n'étant pas équivalente à la couleur de la peau, il fallait trouver un moyen de l'identifier. Cela passe par des codes verbaux. En France, on ne se dit plus "bonjour" entre soi mais "Salamou a'likoum". On émaille les discussions de formules religieuses et en arabe, pour bien montrer l'appartenance au groupe. Mais l'identification doit être plus visible. Obsédés par les corps des femmes sexuellement tentateurs à leurs yeux, le voile devint naturellement l'outil politique de l'islamisme. Ses multiples formes existantes dans divers pays, héritage de traditions patriarcales plus que religieuses, ont été standardisées et "religiosifiées" par les islamistes au cours du XXe siècle. Ainsi, on retrouve les mêmes voiles partout dans le monde. Aujourd'hui, l'image de la musulmane est une femme voilée. Les islamistes ont même réussi à faire croire que le voile est un "signe religieux" de l'islam.

Pour convaincre les récalcitrantes, les islamistes affirment que c’est une prescription coranique. Or, il s’agit d’une prescription islamiste pour apaiser la libido des hommes. En islam, à part pour la prière et là aussi ça se discute, le voile n'a aucune fonction religieuse et encore moins spirituelle. Il date de l'antiquité, donc bien avant l'islam. Il a été créé dans un monde patriarcal pour stigmatiser, hiérarchiser, discriminer et ségréguer une partie de l'Humanité en raison de son sexe.
Les femmes explicitement forcées à se voiler existent. Mais, en France, la majeure partie a été convaincue par les islamistes et d'autres le sont par la pression du groupe dont… d'autres femmes. Ils ont réussi à faire en sorte que nombre de femmes fassent le "libre choix" de s’auto-discriminer par le voilement.

Les islamistes ont réussi à faire croire que le voile est un "signe religieux" de l'islam. Or, à part pour la prière et là aussi ça se discute, le voile n'a aucune fonction religieuse et encore moins spirituelle dans cette religion.

L'intégralité des prédicateurs qui justifient le port du voile, le justifient donc pour des raisons sexistes, patriarcales, identitaires, mais jamais spirituelles. Je suis d'accord avec nombre de musulmans progressistes qui considèrent que la prescription du port du voile est une trahison du texte coranique. En tant que féministe, je considère également que, même si cela avait été une prescription religieuse, rien absolument rien ne peut justifier le sexisme, rien du tout, sans la moindre exception.

Le voile est donc un symbole rétrograde, sexiste, identitaire et politique prescrit uniquement par les intégristes musulmans. Ça ne veut pas dire que toutes les femmes qui le portent sont islamistes. Convaincues par des islamistes hommes et parfois femmes de le porter, beaucoup croient que c'est l'islam tout court. Mais il y a un point commun pour toutes : l'acceptation de se soumettre à ce sexisme d'origine patriarcale. Tout ce que j'ai pu observer, dans ma vie privée, par mes expériences personnelles, par les multiples entretiens que j'ai menés avec des femmes voilées et des hommes pro voile, la conclusion est toujours la même : le voile n'est pas un instrument de mesure de la piété mais conditionne les rapports entre les hommes et les femmes. Le spirituel n'est qu'un prétexte, une instrumentalisation de l'islam motivée par l'obsession sexuelle envers les corps des femmes. Qui conditionne ces relations ? Qui a décidé que le voile serait un signe de pudeur ? Qui a décidé que dissimuler ses cheveux, ses oreilles, son cou et tout le reste serait un acte de modestie vestimentaire ? (Et uniquement pour les femmes. Les hommes n'ont pas à faire ce "libre choix".) Qui a décidé de tout ça ? Des hommes, les intégristes musulmans. Quand on fait l'effort intellectuel de travailler ce sujet, quand on cherche à savoir d'où vient le voile, qui le prescrit et pourquoi, tout nous ramène à l'islamisme. Pour lutter efficacement contre l'islamisme politique, il faut donc déjà s'informer sur le concept du voilement.

Rien absolument rien ne peut justifier le sexisme, rien du tout, sans la moindre exception.

Certains considèrent que la longueur d'un voile peut définir le niveau de radicalité. Ce n'est pas tout à fait exact. Un voile est un voile, peu importe sa longueur. Un hijab n'est pas un foulard. C'est un voile. Le terrain de lutte est aussi la sémantique. Ces confusions dans le vocabulaire et cette ignorance sur le voile permettent aux islamistes d'avancer car, pour ne pas paraitre "racistes", beaucoup acceptent ce qu'ils n'accepteraient jamais ailleurs. Ces confusions et ignorances permettent aussi au voile de passer du statut d'outil de discrimination sexiste au statut de signe religieux. Encore une fois, le voile n'est pas un signe religieux en islam. Mais lui donner ce statut lui permet de le comparer au voile des religieuses catholiques par exemple, alors que ce n'est pas du tout comparable, mais aussi à la croix ou à la kipa qui eux aussi ne sont pas comparables. Pourquoi permettre cela ? Car cela permet de sanctuariser le voile, de quitter son vrai terrain qu'est le sexisme pour aller sur celui de la laïcité. Une laïcité réduite uniquement à la liberté religieuse. Ainsi, toute critique du voilement est accusée d'intolérance religieuse et de "racisme". C'est totalement hors sujet, mais cela illustre la réussite de la stratégie victimaire.

Pour lutter efficacement contre l'islamisme politique, il faut déjà s'informer sur le concept du voilement.

La complicité coupable des féministes relativistes/"intersectionnelles"

Les féministes déconstruisent les stéréotypes sexistes. Elles cherchent à comprendre comment se fabrique le sexisme en décortiquant toute notre culture et notre société. Elles étudient les mécanismes du patriarcat de notre pays. Elles remontent jusqu'à la petite enfance pour alerter sur les constructions genrées dans les jouets et mêmes dans les codes couleurs. Logiquement, la même démarche intellectuelle devrait être appliquée au voilement. Mais ce n'est pas le cas. Nombre de féministes ont abdiqué tout esprit critique pour l'accessoire vestimentaire le plus raciste et sexiste que l'homme ait inventé. Dès que cela concerne l’islamisme et le voile, c’est le black-out. La victimisation et la racialisation de l'islam ont permis de faire abdiquer la lutte pour l'égalité des sexes pour se réfugier derrière la laïcité afin d'afficher une fausse tolérance pour ce sexisme. Ce féminisme relativiste applique un obscurantisme dicté par le religieux.

Ainsi, lorsqu'un livre contient des passages sexistes ou qu'un intellectuel non musulman tient des propos machistes, l'ensemble des féministes montent au créneau. Par contre, l'islamisme est en roue libre. Cette idéologie totalitaire est diffusée en France sans entrave depuis des décennies à travers des prêches, des conférences, des livres, des associations "culturelles" qui sont en réalité cultuelles, des écoles privées plus ou moins reconnues, etc. Et peu a été fait pour s'attaquer à cela. Comment est-il possible que dans notre pays soient largement diffusés des livres homophobes, racistes et ultra sexistes sans que cela ne fasse réagir nos élus et même nombre de féministes ? Comment est-il possible que le plus grand rassemblement islamiste d'Europe, qui a lieu chaque année !, où on y trouve tous ces livres, des jouets pour enfants sans yeux, tous les types de voiles pour les fillettes, etc, que cela se fasse dans le silence général ? Seules les Femen avaient mené une action il y a quelques années contre ce rassemblement annuel des Frères musulmans au Bourget. Le silence de nombre de féministes, face à cette montée d'une des formes de sexisme les plus extrêmes que nous n'ayons jamais connu, est assourdissant. Pire encore, lorsque des féministes et des militants laïques se dressent contre cela, des féministes prennent la défense des islamistes en brandissant le "racisme". J'en ai fait les frais, comme d'autres. Preuve que la stratégie victimaire fonctionne et que le cheval de Troie politique qu'est le voile est efficace.

La victimisation et la racialisation de l'islam ont permis de faire abdiquer le féminisme pour se réfugier derrière la laïcité afin d'afficher une fausse tolérance pour ce sexisme. Ce féminisme relativiste applique un obscurantisme dicté par le religieux.

Pour les islamistes, la visibilisation du sexisme du voile permet sa banalisation

Pour arriver à ce résultat, une méthode a été pensée il y a des années : la visibilité. En 2004 ou 2005, j'avais assisté à une conférence dont les deux intervenantes étaient des islamistes fréristes (issues des Frères musulmans), bien sûr voilées, venues de Lyon. Depuis toujours, et dans toutes les religions, des femmes motivées par leur fanatisme militent pour leur propre oppression. La conférence avait lieu à la Villeneuve de Grenoble, un des plus importants quartiers populaires de la ville. L'auditoire était surtout composé de femmes voilées. Le discours était le suivant : "il faut investir tous les champs de la société : les associations, les entreprises, et même un jour la fonction publique. Il faut que les gens s'habituent à voir le voile pour qu'il devienne banal. Nous pourrons ensuite faire accepter progressivement nos idées." La visibilisation permet la banalisation puis l'acceptation pour ensuite transmettre les valeurs qu’il véhicule. C’est par cette voie de la banalisation que certaines féministes défendent aujourd’hui cet accessoire vestimentaire le plus sexiste de l’Humanité.

Les résultats se font aujourd'hui sentir. L'écrasante majorité des affaires concernant l'islamisme politique depuis 30 ans sont liées au voile. La première fut celle des collégiennes voilées à Creil en 1989. Ces dernières années, le CCIF multiplie les actions pour médiatiser et victimiser des affaires liées à des femmes voilées. Les dernières actions islamistes en date sont le burqini (déclinaison waterproof du voile) et d'autres affaires qui occupèrent (trop) les chaînes d'information en continu entre septembre et novembre 2019. Ce sont ces affaires de voile qui ont permis la manifestation du 10 novembre 2019 contre "l'islamophobie". Sans le voile, rien n'aurait été possible.

Cette visibilité et son corollaire qu'est la banalisation de ce sexisme politique ont permis l'infiltration des idées islamistes au sein même de leurs premiers adversaires naturels : la gauche et les féministes. Certains sont devenus partenaires. Cette alliance est aussi à l'origine de la manifestation du 10 novembre.

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