J'ai été auditionné au Sénat, le 7 janvier 2020, par la "commission d'enquête sur les réponses apportées par les autorités publiques au développement de la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre" (1).
Le texte qui suit est la dernière partie du compte-rendu intégral de mon intervention. Pour une lecture adaptée, je l'ai divisé en trois parties publiées séparément.
Le succès des islamistes politiques repose notamment sur leur récupération de nos outils pour les retourner contre nous (laïcité, féminisme, …). Nous devons faire la même chose : récupérer leur arme principale, le voile. La différence est que les islamistes redéfinissent nos outils à leur sauce pour les dévoyer. Nous, nous redonnerions le véritable sens au voile. Leur arme politique est aussi leur talon d'Achille. Nous devons nous en saisir. En effet, sur ce sujet, les islamistes ne font pas référence à la véritable vocation du voile (le sexisme, l’inégalité des sexes), mais à la laïcité réduite à la liberté religieuse. Nous nous écharpons sur ce terrain choisi par les islamistes, en oubliant la question de l’égalité des sexes. C'est par la lutte contre le sexisme que l'islamisme pourra être affaibli et que cette gauche pourrait retrouver sa boussole.
L'arme politique des islamistes, le sexisme du voile, est aussi leur talon d'Achille. Nous devons nous en saisir.
Il faut faire comprendre aux féministes défendant le voile qu’il s’agit d’une forme de sexisme. A Grenoble, le Planning familial a soutenu le burqini. Là encore j'ai été confronté à ce cordon sanitaire. Des militants d'extrême gauche m'avaient verbalement violement interpelé le jour où, avec des universalistes, nous étions allés adhérer massivement au Planning familial pour manifester notre inquiétude. Ces militants se rendirent aussi au Planning qui avait organisé une contre-campagne d’adhésion pour maintenir les universalistes en minorité au profit des relativistes séduites par le sexisme islamiste. Les islamistes n'ont plus besoin de bouger. Le Planning familial est là pour défendre leur conception du corps de la femme et leur essentialisation des musulmanes.
Dans le débat politique, il faut casser l’alliance entre une partie de la gauche et les islamistes. Pour cela, la sémantique est donc essentielle. Il faut combattre le concept du voilement, le terme "islamophobie". L'écrasante majorité des affaires concernant l'islamisme passe par son cheval de Troie politique, le voile. Encore une fois, la manifestation du 10 novembre 2019 n'aurait jamais eu lieu sans le sexisme politique du voile.
Il faut aussi changer certaines pratiques et approches qui participent à cette alliance. Des élus locaux travaillent avec les islamistes par clientélisme électoral et/ou facilité. Des écoles publiques cèdent aux revendications intégristes. Une école primaire proche de chez moi a changé le nom de "vacances de Noël" en "vacances d'hiver" et a supprimé les sapins à la demande de parents musulmans, au nom surprenant de la laïcité. Mais en même temps, elle a décalé la fête de fin d’année scolaire en mai en raison du ramadan qui cette année-là tombait en juin, sur la pression de ces mêmes parents. Le message transmis est désastreux. Cela devient une norme, car l’école de la République l’a permis.
Dans cette même école, les enfants d'un couple d'amis, non musulmans, au nom culturellement français et au physique caucasien, subissaient des pressions de la part d'autres élèves par des propos racistes sur leur couleur blanche, mais aussi antisémites. Les insultes fusaient aussi parce qu'ils mangeaient des bonbons non "halal" et qu'ils mangeaient pendant le ramadan. Las, les parents ont décidé de les retirer pour les inscrire dans le privé. Ce phénomène participe au cercle vicieux de la ghettoïsation.
Au niveau national également les politiques peuvent être complaisants avec les Frères Musulmans. Nous l'avons vu quand Nicolas Sarkozy avait créé le CFCM en y accordant une place importante à l'UOIF. Des membres du Mouvement En Marche n'ont pas hésité non plus à être complaisants à l'égard des Frères musulmans alors qu'évidemment personne ne va s'allier avec les salafistes.
Il y a aussi un danger en matière électorale sur lequel nous devons agir. Les islamistes politiques veulent conquérir le pouvoir. Je rappelle que leur temporalité est le temps long. Certains s'étaient présentés à des élections depuis le début des années 2000, posant ainsi les premiers jalons pour l'avenir. Les élections législatives de 2017 avaient vu cette fois un investissement plus important de listes et candidats islamistes. Là encore, leur objectif n'était pas de gagner mais de poser plus de jalons. L'objectif réel pour certains d'entre eux sont les élections municipales de 2020. C'est le cas, par exemple, du fondateur et ex président du CCIF, Samy Debah. Il a été candidat aux législatives de 2017 et se présentera aux municipales cette année.
Pour les islamistes, il y a deux possibilités : créer ses propres listes ou infiltrer des listes des partis traditionnels. Je pense à Europe Ecologie Les Verts notamment. Selon moi, l'infiltration représente un danger plus important.
Pour les islamistes, il y a deux possibilités : créer ses propres listes ou infiltrer des listes des partis traditionnels. Selon moi, l'infiltration représente un danger plus important.
Mais tout cela sont des conséquences. Il faut aussi et surtout agir sur les causes. Parmi elles, il y a la ghettoïsation géographique, urbaine, ethnique et culturelle, il y a la crise économique qui touche en priorité les quartiers populaires. Si on souhaite lutter contre le communautarisme, il ne faut pas avoir comme horizon un calendrier calé sur les échéances électorales. Les solutions sont complexes, cela demande une véritable ambition politique et une vision sur le long terme. Il faut un vaste programme ambitieux étalé sur au moins une génération. Pour cela, il faut envisager des projets à court, moyen et long terme. En premier lieu, il faut que nos responsables politiques s'informent enfin sur ce qu'est l'islamisme politique. Leur ignorance a pour conséquence de pactiser parfois avec ceux qu'ils déclarent combattre.
Les habitants des quartiers populaires ont le sentiment d'être délaissés. Il faut reprendre en main ces quartiers, pas seulement sur le plan sécuritaire. Il faut une vraie coordination des actions dans les quartiers populaires et engager des politiques de long terme.
Il faut créer un ministère de la politique de la ville avec à sa tête un ou une ministre d'État. Les multiples "plans banlieues" ne suffisent pas. Ce qui sera annoncé par le Président de la République concernant la lutte contre le communautarisme ne suffira sans doute pas non plus. S'attaquer à l'écume n'a jamais permis de toucher les lames de fond. Ce ministère d'État devra agir sur toutes les échelles de temps (court, moyen et long) et dans tous les domaines en lien avec tous les autres ministères concernés. Il faut aussi redonner des moyens financiers aux associations laïques qui travaillent sur ces territoires car une partie de la place a été abandonnée aux islamistes. Il faut financièrement aider les communes à recruter des éducateurs et animateurs de terrain qui créent du lien avec les jeunes de quartier. Le nombre de ces professionnels a baissé, laissant la place à l'influence des religieux qui remplacent la baisse des professionnels laïcs.
Il faut redonner des moyens financiers aux associations laïques qui travaillent sur ces territoires car une partie de la place a été abandonnée aux islamistes.
L'augmentation nécessaire du nombre de policiers pour lutter contre la délinquance, autre fléau des quartiers populaires, doit s'accompagner d'une hausse du nombre de professionnels du social. La répression ne peut pas être efficace sans la prévention. Mais il faut aussi que les communes soient plus vigilantes et plus fermes face à leurs animateurs qui profitent de leur poste pour embrigader et communautariser religieusement les jeunes. Les "salam oua'likoum" et autres formules religieuses (en plus dans une langue étrangère) n'ont pas leur place dans la bouche de professionnels du social, dont les éducateurs sportifs, dont beaucoup sont, en plus, fonctionnaires. Les revendications religieuses de certains de ces professionnels ne doivent jamais être satisfaites lorsqu'elles franchissent les limites de la laïcité. Bref, il faut être plus vigilant lors du recrutement et dans l'évaluation du travail de ces personnes en contact direct avec la jeunesse.
Il faut également casser les ghettos urbains. Il y a une déconnexion entre une partie de la population qui vit dans ces quartiers populaires et le reste du pays. Cette déconnexion, les islamistes, dont les salafistes, s'en sont vraiment servis. Cela passe encore et toujours par la lutte contre le racisme, le désenclavement territorial des quartiers populaires, une meilleure gestion des milliards injectés dans la politique de la ville, etc. Parce qu'une partie des habitants se sent exclue géographiquement. Elle vit dans des quartiers où règne un fort taux de chômage, où elle voit des "barbus", des femmes voilées et le "halal" partout, et ou l'extérieur est un monde quasi étranger. Les extrêmes se nourrissent de la misère. Il faut créer une vraie mixité sociale. C'est pour cela qu'il faudrait des États généraux, en réunissant au même niveau le ministère de l'Intérieur, de l'Éducation Nationale, des Affaires Sociales, la Jeunesse et les Sports etc… Il faut qu'ils travaillent tous ensemble pour avoir vraiment une action globale.
Agir sur le social agit sur le communautarisme.
Il faut enfin faire aimer la France car la République n'a pas toujours été à la hauteur, Marianne n'a pas su reconnaitre tous ses enfants. La Patrie ne fait pas rêver une bonne partie des citoyens issus de l'immigration des Trente glorieuses. Les causes sont à trouver dans ce que j'ai énoncé mais aussi ailleurs. Ce désamour pousse ces citoyens dans les bras de celles et ceux qui leur proposent un monde plus accueillant, une communauté où ils se sentiraient acceptés : l'islam(isme).
Créer un service national tel que le SNU est une bonne idée. Cela permet de mélanger tous les citoyens quelles que soient leurs origines et conditions tout en suscitant l'élan patriotique.
Mais selon moi, rien ne pourra être résolu s'il n'y a pas une réforme de l'islam. On pourra faire tout ce qu'on voudra, sans réforme de l'islam rien ne fonctionnera. Pour preuve : qui sont les interlocuteurs musulmans pour l'État ? Les islamistes : Mili gorus (islamistes turcs), et surtout les Frères musulmans.
Les organisations musulmanes doivent reconnaitre la liberté de conscience. Elles l’invoquent pour le libre exercice de leur culte et souvent pour la liberté des islamistes d’exprimer leur radicalité. Mais elles ne l’acceptent pas lorsqu’il s’agit de l’apostasie. Quand un musulman souhaite se convertir à une autre religion ou, pire encore à leurs yeux, déclarer son athéisme, c’est vécu comme une catastrophe, une trahison. La pression est énorme, les menaces souvent proférées. Comment alors reconnaitre pleinement une religion si celle-ci ne reconnait pas pleinement la liberté de conscience pour tous et en premier lieu pour les musulmans devenus athées ?
Au-delà de ça, l'islam doit se réformer en profondeur vers une spiritualité personnelle et non plus une vision politico-religieuse globalisante. La France du XXIe siècle n'est pas la Péninsule Arabique du VIIe siècle. Les musulmans progressistes doivent être mieux considérés. Or pour l'instant ce sont les radicaux qui le sont.
Les solutions ne sont pas simples et uniques. Il faudra bien une génération pour que des résultats se fassent sentir. A condition de commencer aujourd'hui avec une volonté politique forte, globale, et sur le long terme.
L'islam a sa place en France. Mais l'islamisme politique est une menace pour notre pays. Une menace bien plus grande que le djihadisme.
Questions / Réponses :
Mme le Rapporteur : la difficulté dans nos quartiers est qu’on peine à maintenir une mixité. En Ile-de-France c’est un vrai constat, mais c’est également le cas dans d’autres grandes villes. Or, la mixité donne une respiration aux quartiers.
M. Bestandji : La ghettoïsation est parfois malheureusement entretenue par les élus locaux. Cette mixité n'est qu'une formule vide de toute réalité. Le jour où on attribuera un logement social du 16ème arrondissement de Paris à un habitant au RSA ou avec une faible pension d'invalidité qui vit dans le quartier le plus déshérité de Seine-Saint-Denis, le jour où un cadre ou un médecin choisira d'aller vivre dans ces quartiers déshérités, alors nous pourrons parler de mixité sociale. Cette assignation par l'argent (seules les personnes avec un bon salaire peuvent obtenir un HLM dans un quartier très demandé) est contraire à l'objectif de mixité sociale tant évoquée par nos politiques. Le communautarisme est donc aussi entretenu et développé par nos élus qui, en même temps, déclarent vouloir lutter contre le communautarisme.
Mme le Rapporteur : vous avez travaillé dans les quartiers populaires. Ne pensez-vous pas qu’il serait plus important de recruter des gens extérieurs au quartier, susceptibles d’apporter une vision objective du quartier et une respiration ?
M. Bestandji : Oui, vous avez raison. Le problème est qu'ils viennent parfois d'autres quartiers alentours. On reste donc dans un entre-soi.
Quand j’ai commencé à travailler, la Caisse d'Allocation Familiale avait pour politique de ne pas faire travailler les jeunes dans leur quartier d'origine. Ensuite, la CAF de l'Isère a transféré les centres de loisirs à la municipalité, qui n’a pas la même politique. Elle souhaite donner du travail aux jeunes de la ville, plutôt qu’à chercher des compétences. En 1999, j’ai été directeur d'un centre de vacances laïc à la Grande Motte pour la ville d'Échirolles. A la réunion de préparation, j'avais bien indiqué aux équipes d'animation et de services qu’il n’y aurait pas de viande halal pendant le séjour. Mais une fois sur place, des animateurs et du personnel de service ont fait pression pour avoir de la viande halal, allant jusqu’à la grève. Ils se connaissaient tous et connaissaient aussi personnellement la plupart des enfants. L'effet de groupe dû à l'internat fonctionnait à plein. Je n’ai pas cédé, avec l'accord de la mairie. Une nuit, à la fin du séjour, les membres du personnel qui réclamaient du halal étaient sortis dans la cour avec casseroles, marmites et cuillères pour faire le plus de bruit possible. Ils avaient fait peur aux enfants que le reste de l'équipe, non-grévistes, avait rejoints dans leurs chambres pour les rassurer.
Lors du séjour suivant, selon les retours que j'ai pu avoir, mon successeur a admis la viande halal, pour acheter la paix sociale.
L’une des méthodes des islamistes est la stratégie des petits pas, avec un effet cliquet : il est quasi impossible de revenir sur une avancée concédée.
Commission d'enquête sénatoriale sur la radicalisation islamiste : mon audition (1ère partie)
Commission d'enquête sénatoriale sur la radicalisation islamiste : mon audition (2ème partie)
(1) Commission d'enquête sur la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre