L’islamisme s’investit en politique de deux manières, mais avec le même angle dans tous les pays où les musulmans sont minoritaires : la victimisation. La première manière, et la plus efficace, est d’infiltrer ou de s’associer à des partis politiques et associations de gauche en s’affichant comme "défenseurs des droits des musulmans", dans le cadre de la lutte contre les discriminations. La deuxième, plus flagrante donc moins efficace, est de créer son propre parti politique. En France, des islamistes s’y sont essayés depuis les années 1990, sans succès jusqu’à présent. Un seul tient malgré tout à porter le flambeau, l’UDMF.
Le parti islamiste UDMF (Union des Démocrates Musulmans Français), créé en 2012, est issu de l'idéologie des Frères musulmans. Fidèle à la politique de ce mouvement, la victimisation est au coeur de sa stratégie. Il récupère les valeurs de la République pour les détourner et les retourner contre la société. Les Frères musulmans ne sont pas dans une lutte frontale contre la République. Ils veulent au contraire l'investir pour la saper de l'intérieur.
En 2017, le parti avait présenté six candidats. Pour les élections législatives de 2022, "l'UDMF sera présente sur 85 circonscriptions législatives avec 85 femmes et 85 hommes", selon son site internet. La première partie de cet article est la reprise de celui que j’avais écrit en juin 2017 sur les partis politiques islamistes en lice pour la députation (1). La deuxième partie plongera dans la campagne de l’UDMF pour les élections législatives de 2022.
Le choix de son nom n'est pas anodin. La religiosité et le communautarisme sont au cœur de son engagement politique. L'UDMF reconnait d'ailleurs, sur son site, le "bien-fondé" de la fusion entre politique et religion : la politique est un devoir sacré et spirituel (2). Il a aussi choisi cette dénomination pour se rapprocher de celle des Démocrates Chrétiens, afin de légitimer une fausse comparaison qui lui serait favorable. Son logo intègre à la fois le tricolore du drapeau français et le croissant de l'islam. Le mélange entre religion et politique est affiché jusque dans son logo, tout en continuant à déclarer, pour la vitrine, sa défense de la loi de 1905.
Comme les autres partis islamistes, l'UDMF ne cesse d'alterner entre affichage républicain, "laïc" et démocrate ; et les revendications et positions intégristes noyées dans l'ensemble de son programme et de ses propositions.
Comme les autres, il déroule toute la panoplie victimaire et communautariste avec une vision politique et rétrograde de l'islam sous couvert de "vivre ensemble". Nous pouvions ainsi lire au milieu d'un texte, toujours sur son site officiel : [celles] qui se voilent par pudeur et [celles] qui se découvrent par conviction. Un texte disparu depuis, mais une déclaration toujours présente sur le blog du fondateur du parti (3). Le voile est le corollaire patriarcal d’une pudeur créée et définie par des hommes à destination des femmes (les femmes non voilées seraient impudiques). Mais l’UDMF va plus loin que ses confrères intégristes. Pour le parti, le dévoilement devient un acte de conviction. Ainsi, le voilement des femmes serait naturel. Être recouverte d'un voile est si naturel, inné, que ne pas l'être est l'acte "impudique" de se découvrir (pour se découvrir, il faut d'abord avoir été couverte). Pour les islamistes, ne pas être voilée est être nue (conception valable uniquement pour les femmes, évidemment). Par la rhétorique d'inversion, l'UDMF ne considère pas le port du voile comme une conviction construite par des hommes. C'est le fait de ne pas le porter qui le serait.
Evidemment, la lutte contre l'intégrisme est à leurs yeux une lutte contre les musulmans et un dévoiement de la laïcité. Ces islamistes s'en prétendent aussi les défenseurs tout comme ils se prétendent les garants de l'émancipation des femmes… dans le respect d'un minimum de patriarcat et de dissimulation de leur corps honteux si prompt à exciter la libido des hommes, bien entendu.
L'UDMF dénonce justement la mauvaise image de l'islam concernant les femmes… tout en l'entretenant. De par les éléments évoqués plus haut, mais aussi par sa justification à travers la réponse à une question sur son site :
L'Islam, contrairement à ce que l'on sous-entend aujourd'hui, est venu libérer la femme de la position dégradante dans laquelle elle se trouvait avant son avènement. (…) De nombreux droits lui avaient été octroyés comme ceux de demander librement la main d'un homme, de s'exprimer en public, de travailler et même, à l'inverse des autres religions monothéistes, de demander le divorce. (4)
L'UDMF a raison (sachant toutefois que c'est Khadija qui a librement demandé la main de Mohamed, avant qu'il ne déclare être le Messager de Dieu, donc avant la naissance de l'islam. Ce qui démontre que c'était déjà possible, même si ce n'était sans doute pas courant). Mais c'était il y a 1500 ans dans une société tribale en plein désert arabique. Les islamistes font toujours appel à l'histoire des débuts de l'islam pour démontrer, à juste titre, que cette religion a été une énorme avancée pour les droits des femmes. L'UDMF précise d'ailleurs que c'est ce qui correspond aux fondements même de la religion musulmane. Mais comme les intégristes sont littéralistes, ils considèrent ces avancées comme suffisantes encore aujourd'hui. En quoi "demander la main d'un homme" serait surprenant en France de nos jours ? Devrions-nous nous extasier parce que les femmes ont le droit de travailler, de demander le divorce, et même de… s'exprimer en public ? Ce qui était un progrès au VIIe siècle, serait un recul au XXIe si nous l'utilisions encore comme référence. Voilà à quoi correspond "l'émancipation de la femme" selon l'UDMF : le Moyen-Age. C'est une différence fondamentale avec les musulmans rationalistes. Pour les islamistes, les fondements même de l'islam correspondent à une application mimétique et littéraliste du Coran, quitte à en trahir le message. Les rationalistes considèrent que l'esprit du texte prévaut (ici, l'émancipation des femmes), pour en respecter le message. Autrement dit, l'islam devrait toujours avancer vers plus d'égalité selon la société dans laquelle se trouvent ses fidèles. Or, les islamistes proposent à l'inverse de faire reculer la société et d'aller à l'encontre de l’esprit du message originel pour coller coûte que coûte à la lettre du Coran.
A la question "pourquoi un parti pour les musulmans de France ?", l'UDMF répond qu'il apporte ses propres valeurs (dont nous avons eu un aperçu) et une éthique.
Pour les législatives de 2017, une seule femme fut présentée sur une liste, comme suppléante : Sandra Fourastié. C'est elle que le parti a choisie, par "éthique", comme support marketing plutôt que d'afficher les candidats. Au point de faire croire qu'elle a réellement été candidate à la députation. Cette stratégie des Frères musulmans est courante. Ils ont d’abord compris depuis longtemps qu'il n'y a rien de mieux pour lutter contre l'égalité des sexes que de mettre des femmes en avant. De plus, afficher une femme voilée participe à banaliser le sexisme du voile et même à faire croire qu'il peut être associé au féminisme. Comme je l'ai démontré dans plusieurs de mes articles et dans mon livre, le voile est le cheval de Troie de leur stratégie. Au-delà d'être le symbole du sexisme, c'est une arme politique qui leur permet d'avancer. Tout ceci a rendu évidente l'idée de mettre Sandra Fourastié en lumière.
Rompue à la technique islamiste de détournement de nos concepts et d'inversion des rôles, l’UDMF n'hésite pas à l'afficher voilée sur une de ses affiches de campagne avec pour texte : Affirmer toute sa place au sein de la République, une priorité pour combattre les extrêmes qui minent notre cohésion nationale. Afficher le symbole du sexisme et de l'extrémisme, et le voile créant d'office un apartheid sexuel, tout en déclarant vouloir combattre l'extrémisme et défendre la cohésion nationale à travers un parti politique islamiste, il fallait oser.
Cette affiche avait évidemment engendré des réactions. Celles des militants laïques et féministes universalistes, tout de suite mélangées, comme toujours, avec les réactions de la fachosphère qui en profite systématiquement pour pointer l'ensemble des musulmans. Une nouvelle preuve que, loin de lutter contre le "racisme" (l'islam n'est pas une race et Sandra Fourastié n’est pas victime de discriminations en raison de ses origines ou de sa couleur de peau), les islamistes politiques cultivent et développent au contraire l'extrême droite nationaliste. Il est évident que l'existence de tels partis politiques, et l'affichage de telles idées, ne peuvent qu'effrayer la population et en jeter une partie dans les bras du RN.
Évidemment, les islamistes n'ont pas manqué de prendre sa défense. Le site Oumma.com par exemple, à qui elle accorda logiquement un entretien, décrit cette candidate comme une jeune femme portant un voile doré aux reflets soyeux (le sexisme aux couleurs chatoyantes serait plus acceptable). Elle porte fièrement les couleurs éclatantes de son parti « laïc et non religieux » et néanmoins riche de son « éthique musulmane » (5). Nous retrouvons ici la rhétorique de la branche juridique de l'idéologie des Frères musulmans en France, le CCIF. Une rhétorique aussi utilisée par la totalité des candidats islamistes : leurs partis politiques ont choisi une dénomination religieuse identifiant l'islam (le "Parti égalité et justice" est une exception mais sa dénomination rappelle celle des partis islamistes turcs et marocains), leurs actions sont teintées, voire totalement remplies de religiosité, mais ils affirment être laïcs et non religieux. Or, par définition, des croyants s'investissant en politique au nom de leur foi, mêlant politique et religion, sont bien l'antithèse de la laïcité qui prône la séparation du politique et du religieux. Se prétendre "laïc et non religieux" tout en clamant partout utiliser une "éthique musulmane" et en se présentant de plus voilée, le symbole même de l'islamisme politique, là aussi il fallait oser. Rien d'étonnant alors à ce que cet article, qui expose les motivations politiques de cette candidate, déroule à longueur de lignes "l'islamophobie" dans leur confusion et renversement habituels des rôles.
Comme tous les Frères musulmans de France, l'UDMF, ce parti politique "laïc et non religieux", est ravi de participer activement et officiellement à la Rencontre Annuelle des Musulmans de France (RAMF) organisée chaque année au Bourget par les chefs de file des Frères musulmans dans notre pays, l'UOIF (6). Rien d'étonnant alors à ce que la politique internationale de l'UDMF, affichée sur son site, se limitait en 2017 à la lutte contre "l'islamophobie" en Europe et, bien-sûr, à la Palestine.
(1) Législatives 2017, un défi pour l’islamisme politique (2ème partie)
(2) https://parti-udmf.fr/question.html
(3) Lettre à la FRANCE
(4) https://parti-udmf.fr/question.html
(5) Législatives : une candidate voilée victime d’un déchaînement de haine sur Twitter
(6) L'UDMF à la 34ème Rencontre Annuelle des Musulmans de France