L’islamismosphère francophone compte des dizaines de prédicateurs, la plupart du temps autoproclamés. Ils se sont fixés comme mission de propager (leur interprétation de) l’islam. Leur terrain privilégié est internet. Parmi eux, certains prêchent dans des lieux de cultes. Ils complètent leur imamat par une activité prosélyte sur la toile. Ils ont leur site internet et des comptes sur les réseaux sociaux. Autrement dit, les plus grandes mosquées sont aujourd’hui TikTok, Instagram, Discord, Facebook, etc. La théologie musulmane est dominée par les franges les plus rigoristes et radicales. Cette période obscurantiste que traverse l’islam, et la parole étouffée de toute interprétation progressiste, se retrouve et s’observe sur internet.
Dans mon livre et mes articles, j’ai largement exposé et analysé les discours de prédicateurs tels que Hassan Iquioussen, Nader Abou Anas et d’autres, ainsi que ceux de leurs militants politiques comme le CCIF, les « hijabeuses » et d’autres encore.
Concentrons-nous aujourd’hui sur un énième prédicateur islamiste, Mohamed Nadhir. Sur le fond, il dit exactement la même chose que les autres. Sa particularité est sur la forme : il n’a aucun filtre. Il s’inscrit bien sûr dans la stratégie victimaire de l’islamisme politique. Mais il en écarte les euphémismes. Il ne veut pas adoucir son discours. Au contraire, il veut être le plus clair possible.
Mohamed Nadhir, de son nom complet Mohamed Nadhir Berhouma-Khannoussi, est né à Paris en 1995. Il se présente comme « un imam enseignant en sciences religieuses et étudiant » (1). Domicilié à Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis), il « intervient régulièrement dans plusieurs mosquées et instituts d'Île-de-France, de France et d'autres pays du monde (Canada, Belgique...) » (2). Formé en France, en Jordanie et surtout à l’Institut Mohammed-VI de Rabat (formation des imams dans un cursus de 3 ans pour les étudiants étrangers), son interprétation de l’islam est issue de l’école malikite (une des quatre grandes écoles de l’islam sunnite, majoritaire au Maghreb). Il s’en est toutefois un peu éloigné pour adopter une bonne dose de salafisme. Peut-être sa formation à Médine qu’il enchaînera après sa formation au Maroc ? Mohamed Nadhir rejette alors l’adaptation au contexte pour être le plus littéraliste possible. Son application de l’islam est englobante et totalisante, jusqu’au moindre détail de la vie quotidienne. Il est anti Occident, misogyne, défend le patriarcat dans sa forme la plus pure, a une vision ultra identitaire de l’islam. Bref, c’est un intégriste. Mais, sourire narquois gravé sur son visage et chéchia vissée sur la tête, il a l’honnêteté de tout assumer dans ses vidéos, ses tweets et ses publications Facebook, comme nous le verrons dans cette série d’articles.
Son application de l'islam est englobante et totalisante, jusqu’au moindre détail de la vie quotidienne.
Comme tous les prêcheurs islamistes, le prosélytisme est son sacerdoce. En février 2015, il crée sa plateforme Din-ul-Qayyima, un « blog généralisé à plusieurs réseaux sociaux ». Son « projet a commencé à prendre de l'ampleur avec la popularisation de l'application Periscope, courant 2016 » (3). Puis, il entame l’étape suivante : « permettre à chacun d'avoir accès aux fondamentaux dans sa religion, et à une certaine culture islamique pouvant aider à constituer l'identité musulmane que notre génération a cruellement besoin de renforcer » (4). Une ambition prosélyte, à qui l’islam sert de vecteur identitaire, cohérente avec son approche extrémiste de cette religion. Pour cela, comme tous les militants islamistes, il met à contribution tout ce que les nouvelles technologies lui offrent : « A l’époque du numérique, toute plateforme a la nécessité de se développer via tous les outils virtuels existants pour perdurer » (5). Un site web a également été créé. Le projet de création d’une application semble pour l’instant avoir été abandonné.
Il sollicite un financement participatif sur Tipeee pour professionnaliser ses vidéos par l’achat de matériels : caméras, éclairages, etc. Ainsi, Tipeee aide au financement d’un projet islamiste.
Son institut se met progressivement en place. Son site web, encore rachitique, a de grandes ambitions. Mohamed Nadhir est ainsi présent sur tous les réseaux sociaux : Twitch, Twitter, Snapchat, Discord, Instagram, YouTube. Ses chaînes ne portent pas son nom mais celui de son institut : Dinulqayyma. Sa chaîne YouTube Din-ul- Qayyima compte 147000 abonnés, 80000 sur Instagram, 66500 sur TikTok, 31600 sur X. il est présent sur deux pages Facebook. L’une d’elle, « Din-ul-Qayyima » (13000 abonnés), est en sommeil depuis mars 2022. L’autre est « Mohamed Nadhir DinulQayyima » (3800 abonnés). Il a aussi une page personnelle, « محمد نذير الخنوسي (Mohamed Nadhir) » (2400 abonnés), peu active. Son audience ne se mesure pas seulement à ces comptes mais surtout au nombre incroyablement élevé des partages de ses discours par d’autres chaînes YouTube et comptes sur les réseaux sociaux. Certains sont mêmes exclusivement consacrés au partage des vidéos de ce prédicateur. Grâce au relais de tous ces fanatiques, Mohamed Nadhir bénéficie d’une large visibilité sur les réseaux sociaux. Les adolescents et les jeunes adultes sont les plus touchés. Une visibilité encore renforcée grâce au soutien de certains de ses collègues comme le prédicateur néo-salafiste Nader Abou Anas. Ce dernier considère tendrement Mohamed Nadhir comme son « petit frère » (6).
Leurs vidéos et conférences communes montrent une proximité idéologique. Cela n’empêche pas les critiques de la part d’autres prêcheurs islamistes. L’islamismopshère vogue vers les mêmes objectifs totalitaires et obscurantistes, mais elle est toujours balayée par des vents de conflits personnels et des divergences secondaires.
A l’instar de plusieurs de ses collègues radicaux, Mohamed Nadhir se présente donc comme « un imam enseignant en sciences religieuses. » L’élément de langage « sciences religieuses » est très répandu dans les milieux islamistes. Leur démarche n’a évidemment rien de scientifique. D’abord parce que la théologie traite de la foi qui, par définition, n’est pas scientifique mais ressentie. Ensuite, aucune de leurs méthodes n’applique celles de la science et ont encore moins sa rigueur. Ce qu’ils appellent « sciences » est la simple répétition d’interprétations religieuses, basées sur des croyances et superstitions, transmises depuis 1400 ans. Aucun théologien (ou si peu) d’autres religions n’insiste à ce point sur la « science » de leur croyance. Au sein de l’islam, aucun musulman progressiste ne parle de « sciences » non plus. Alors pourquoi les islamistes insistent autant sur la « scientificité » de leur idéologie ? Parce que l’objectif est d’apporter une crédibilité là où leur raisonnement en est dénué. Par leur fanatisme, ils considèrent leurs hypothèses comme des preuves et le martèlement de leurs croyances comme une science.
Ce qu’ils appellent « sciences » est la simple répétition d’interprétations religieuses, basées sur des croyances et superstitions, transmises depuis 1400 ans.
Leur « science » les mène à affirmer, par exemple, que la terre est plate, que la femme est née de la côte d’Adam, qu’elle est naturellement inférieure à l’homme ou bien encore que les étoiles filantes seraient des météorites lancées par Dieu pour chasser les djinns (créatures maléfiques surnaturelles) qui interceptent des messages divins destinés aux anges. Un autre intérêt est de rendre leurs propos plus crédibles que ceux des autres religions. Un autre encore est aussi de concurrencer, voire de décrédibiliser, l’enseignement laïc et les vraies sciences qui contrediraient les discours islamistes. Enfin, les « sciences islamiques » visent aussi à dicter les comportements des musulmans dans tous les aspects de la vie, jusqu’au moindre détail, parfois à la manière d’une secte.
Dit autrement, les sciences ont pour objectif d’éclairer et de faire progresser les connaissances par l’expérimentation, l’usage de la Raison et de l’esprit critique. Les « sciences islamiques » ont pour but l’obscurantisme par l’abdication de la Raison et de tout esprit critique.
Ses « sciences religieuses » autorisent ainsi Mohamed Nadhir à se prononcer sur tous les sujets. Il se réfugie derrière la parole de Dieu, du Prophète Mohamed et de « l’avis majoritaire des « savants » » pour défendre le modèle d’un régime autoritaire contre la démocratie, glorifier le patriarcat, justifier les atrocités à l’encontre des homosexuels, etc. A travers plusieurs articles qui suivront, je m’attacherai à analyser ses thèmes de prédilection, sources vidéos à l’appui, pour dévoiler la dangerosité de ce prédicateur dont le message est commun à la totalité des autres islamistes sévissant sur internet et dans le monde réel.
(1) Institut Dinulqayyima, présentation du "professeur"
(2) Ibid
(3) Projet Din-ul-Qayyima
(4) Ibid
(5) Ibid
(6) "Mon petit frère Mohamed Nadhir"