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Mohamed Nadhir assure son rôle de gardien du temple patriarcal auquel l’islam sert de ciment. Dans la partie précédente, j’ai exposé sa manière de présenter le patriarcat sous l’angle de la « juste mesure » entre l’obéissance de la femme à son mari et les droits que lui accorde ce dernier. Cet « équilibre » patriarcalement cohérent ne peut se maintenir que par certains garde-fous. L’obéissance à Dieu en est un (cf. partie précédente). La dépendance financière de la femme en est un autre, bien plus concret.
« Tout le côté financier, c'est à l'homme de l'assumer en islam. La femme, elle n'a pas obligation à dépenser quoi que ce soit, aucun centime dans le logement ou tout ce qui pourrait avoir trait au côté financier de l'époux. La femme, elle a à garder son argent personnel pour elle. » La rhétorique est toujours la même. Le financement et les dépenses du foyer sont présentés comme une obligation masculine, une contrainte dont la femme est dispensée. Cette présentation a pour but de positiver la soumission féminine.
« Son argent personnel » est là aussi conditionné. Elle a deux manières d’en posséder. Elle peut en gagner en travaillant… seulement si son mari l’autorise. L’autre manière d’avoir un peu d’argent passe directement par le mari qui peut lui en donner… s’il le souhaite. L’épouse peut enfin avoir un peu de liberté en disposant de cet argent comme elle l’entend, mais seulement en théorie : « l’époux n'a pas le droit d'utiliser son argent. Il n'a pas le droit de regard sur son argent… à part si elle dépense d'une traite plus du tiers. Là, il a droit de regard sur son argent. » Oui, la femme est bien une éternelle mineure. La dépendance financière est fixée comme un boulet pour empêcher toute forme d’émancipation de la femme. La rhétorique d’inversion permet de faire passer le mari pour un protecteur naturel bienveillant et la femme pour une créature heureuse passant sa vie à remercier son mari de prendre soin d’elle.
La dépendance financière est fixée comme un boulet pour empêcher toute forme d’émancipation de la femme.
Selon les islamistes, comment expliquer une telle hiérarchie ? Par un verset coranique (sourate 2 verset 228). Les hommes et les femmes sont égaux… mais les hommes leur sont supérieurs « d’un degré ». Mohamed Nadhir assume franchement cet oxymore pour tenter de justifier l’injustifiable : « « Les hommes ont sur la femme un degré », c'est un degré d'autorité, c'est un degré de responsabilité. La responsabilité, ça implique d'assumer financièrement le foyer. Donc il faut que l'homme soit un homme. Ce n'est pas juste un mâle. Il faut que ce soit un homme, et qu’il assume financièrement tout ce qui est dans le foyer pour que la femme, derrière, donne le droit à son époux et se sente apaisée dans son foyer. »
Remarquons ici l’appel à la virilité et la rhétorique d’inversion : la femme donne le droit à son mari de la dominer. Elle lui donne le droit de ne plus avoir de droits autres que ceux qu’il veut bien lui donner (outre l’obligation du mari à nourrir, vêtir et loger son épouse comme on le fait pour un esclave). Ce don du droit de la femme au mari permettrait à l’épouse de « se sentir apaisée » dans sa geôle où elle a en charge le ménage, la cuisine, l’éducation des enfants… Telle est, selon eux, la vie d’une « reine ».
Une fois lâché, Mohamed Nadhir expose sans filtre la « juste mesure » imposée par Allah évoquée dans la partie précédente : « [L’homme doit assumer ses devoirs] pour mériter son titre de roi dans son foyer. Parce que, effectivement, de l'autre côté, l'homme, derrière, c'est sur lui que la société est basée parce que la société islamique c'est une société patriarcale. Donc l'homme, c'est lui qui a l'autorité sur son épouse et c'est lui qui a l'autorité sur son foyer. »
Pour justifier leur injustice envers les femmes, les islamistes inversent encore et toujours les concepts et situations. Ils affirment qu’en islam la femme est une reine. Cette expression patriarcale est clamée pour tenter de positiver une discrimination basée sur le sexe. C’est la rhétorique d’inversion dans toute sa splendeur. La « juste mesure », « l’équilibre », « l’équité » ou la « complémentarité » (selon les termes choisis par tel ou tel islamiste) imposent des obligations à la « reine » pour mériter l’obligation financière de son mari. Mohamed Nadhir les rappelle : « l’obligation de la femme vis-à-vis de l’homme est d'assumer le foyer, notamment les tâches ménagères, l'éducation des enfants, tout ce qui va être à l'intérieur du foyer. Ça, ça va être la responsabilité de la femme vis-à-vis de l'homme. Et évidemment après s’embellir pour lui de toutes les manières. [...] Et elle lui doit obéissance, évidemment. « Les hommes ont sur elles un degré ». « Les hommes ont dominance sur les femmes et ont autorité sur les femmes ». […] et c'est une autorité qui est méritée parce que justement il y a cet aspect financier. » Nous revenons encore à cette dépendance financière pour maintenir la femme captive.
A l’instar de tous ses collègues radicaux, Mohamed Nadhir se réfugie toujours derrière la parole divine pour justifier sa mentalité archaïque : « C'est pas moi qui l’estime, c'est notre religion. Allah l’a décrété ainsi. […] Allah a mis la prédominance sociétale dans les mains de l'homme. C'est ce qui fait que c'est l'homme qui épouse ; c'est l'homme qui donne la dot ; c'est l'homme qui marie sa fille, ou la femme de qui il est le tuteur ; et c'est l'homme qui divorce. Toutes ces choses-là sont un élément de l'homme parce que l'homme à cette prédominance sociétale. »
« Les hommes ont dominance sur les femmes et ont autorité sur les femmes ». […] et c'est une autorité qui est méritée parce que justement il y a cet aspect financier. »
Dans un autre discours, il enfonce le clou de l’infantilisation de la femme : « étant donné que la société islamique est patriarcale, eh bien la responsabilité entière est donnée pour le mari. C'est pour cela que le mari il a un grand mérite vis-à-vis de la femme parce qu'il a une énorme responsabilité vis-à-vis d'elle. Une responsabilité d'éducation, une responsabilité de protection, une responsabilité d'accompagnement. Oui, le mari c'est un éducateur pour la femme. […] C'est pour cela que la femme elle a un rapport vis-à-vis du mari qui est de le considérer comme son père. » Cette obéissance, au point que « la femme est sous son mari » comme le précise Mohamed Nadhir, implique d’appliquer « les ordres » donnés par le « roi ». « C'est pour cela que le mari est dans son foyer un dominateur », conclut-il.
Mais si la femme veut être considérée comme une adulte, comme l’égal de son mari et qu’elle se rebelle, que se passera-t-il ? L’islam a tout prévu.
Pour rassurer, Mohamed Nadhir tente de présenter l’islam littéraliste comme une forme de progrès encore valable aujourd’hui : « Il faut savoir qu'en islam, c'est la loi islamique, la charia, c'est une pionnière en matière de préservation de la femme et des droits de la femme, notamment dans le contexte des violences conjugales. » En effet, l’islam était une avancée en son temps, au VIIe siècle. Mais appliqué tel quel, il est ultra rétrograde et arriéré au XXIe. C’est une des différences entre les islamistes, qui prétendent vouloir appliquer l’islam à la lettre, et les musulmans progressistes qui désirent faire évoluer leur religion vers toujours plus de progrès.
Le sujet des violences conjugales en est un bon exemple. Pris à la lettre, l’islam ne les interdit pas. Il les codifie pour les encadrer. De plus, la femme n’ayant aucune autorité légale sur son mari, elle n’a donc pas non plus le droit de le « corriger », encore moins par la violence. Lui, si. Elle lui doit obéissance. Si elle s’y refuse, il a le droit de la frapper. L’islam encadre ce droit, à commencer par le Coran à travers le fameux verset 34 de la sourate 4 :
« Les hommes ont autorité sur les femmes, en raison des faveurs qu'Allah accorde à ceux-là sur celles-ci, et aussi à cause des dépenses qu'ils font de leurs bien. Les femmes vertueuses sont obéissantes (à leur mari), et protègent ce qui doit être protégé, pendant l'absence de leur époux, avec la protection d'Allah. Et quant à celles dont vous craignez la désobéissance, exhortez-les, éloignez-vous d'elles dans leurs lits et frappez-les. Si elles arrivent à vous obéir, alors ne cherchez plus de voie contre elles, car Allah est certes, Haut et Grand ! »
Ce verset confirme l’autorité des hommes sur les femmes. La raison est simplement les faveurs que Dieu aurait octroyées aux hommes sur les femmes. Dieu aurait pu accorder les mêmes faveurs aux deux sexes, mais il a préféré privilégier les hommes au détriment des femmes. Preuve que le Coran n’a rien de divin mais tout du reflet culturel des hommes qui l’ont écrit il y a 1400 ans au sein de tribus bédouines du désert arabique. Ce verset confirme également que la responsabilité financière de l’homme justifie l’obéissance de la femme. Le côté « vertueux » de l’épouse est là pour valoriser la concernée dans sa soumission et pointer du doigt les rebelles à l’autorité masculine.
La codification des violences conjugales arrive ensuite. Cela ne commence même pas au moment où la femme désobéit, mais seulement si le mari craint sa désobéissance avant même qu’elle n’ait fait quoi que ce soit. L’époux tente alors de la raisonner. Si elle n’entend pas, il boude son lit. En effet, la femme serait un être émotionnellement si fragile qu’elle serait triste, malheureuse et sexuellement frustrée si son mari dort ailleurs (en réalité, ce serait plutôt l’inverse), ce qui la ramènera à la raison… Si elle n’entend toujours pas, son mari peut alors la frapper. L’islam et ses exégètes n’interdisent donc pas toute forme de violence physique du mari envers sa femme. Ils la codifient : après deux étapes préalables non-violentes, le mari est autorisé à la frapper si elle persiste dans sa désobéissance. Mais, selon les exégètes, il n’a pas le droit de la frapper au visage, de lui laisser des traces ni de lui casser des os. Il peut donc aller de l’humiliation par une simple tape sur la main (la femme n’a pas ce droit vis-vis de son mari) à la brutalité physique par des gifles, la pousser pour la faire tomber ou lui donner des coups de poings dans le ventre par exemple.
Ce mode d’emploi de la violence conjugale religieusement légalisée est expliqué par tous les théologiens et prédicateurs islamistes (les musulmans progressistes le rejettent). Dans mon livre (Le linceul du féminisme-Caresser l'islamisme dans le sens du voile), j’avais exposé l’explication de Youssef Al-Qaradawi (théologien Frère musulman le plus célèbre, décédée en 2022, encensé notamment par Tariq Ramadan, l’association islamiste Havre de savoir, des militants pro-islamiste comme Youcef Brakni, etc.). Lui aussi explique, détaille et justifie la violence envers son épouse à travers le verset 34 de la sourate 4.
A notre époque, cette codification est considérée comme profondément barbare. Certains islamistes tentent alors d’atténuer cet aspect en remplaçant « frappez-les » par « corrigez-les ». C’est ce que tente de faire Mohamed Nadhir : « C’est pour cela que Allah nous dit, par rapport à la femme qui n'obéit pas à son mari, le verset que beaucoup ne comprennent pas ou pensent que c'est un verset duquel on a honte. On n’a pas honte, absolument pas. On n’a absolument pas honte de ce verset. Au contraire on est fier de toutes les paroles d’Allah. Parce qu’on comprend les paroles d’Allah dans un ensemble. Et on sait qu’étant donné que la société islamique est patriarcale, c'est le mari qui a la responsabilité du foyer. Donc le mari il a le rôle d'éducateurs vis-à-vis de sa femme. […] C'est pour cela qu’Allah dit [il parle en arabe puis reprend en français]. Lorsqu’elles commettent un acte de désobéissance, commencez par les exhorter. Parce que vous avez ce rôle d'éducation. Et si elles ne comprennent pas, écartez-vous d'elles pour qu'elles comprennent. Wathribouhouna [et frappez-les] dans le sens « corrigez-les », et non pas dans le sens « frappez-les, battez-les ». Il est interdit à l'homme de battre sa femme. »
Comme tous les islamistes francophones, il joue sur les mots. En effet, l’islam interdit de battre sa femme en la rouant de coups. Mais il autorise de la frapper, en respectant les critères énoncés plus haut. Ce serait pour son bien, comme pour un enfant, « comme un père qui éduque son fils ». Mohamed Nadhir présente cela comme une situation positive : « s'il lève la main sur elle sans droit, s’il la blesse, s’il la bat, elle peut demander, exiger le divorce. »
Là encore, le recours à une justice parallèle islamique est recommandé. Car la justice républicaine condamnera systématiquement le mari.
Ainsi édulcoré, ce passage indéfendable du Coran passe mieux à leurs yeux. Cette « correction » halal et la dépendance financière contribuent à imposer l’obéissance de l’épouse, au point de lui proposer de se prosterner devant son mari. Oui, la « reine en islam » que serait la femme musulmane peut se prosterner devant son époux, comme on se prosterne pour prier Dieu. Ce sera le prochain aspect de ce thème abordé dans la suite de cette série.