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Le mythe de la virginité protège les sociétés et milieux patriarcaux. A défaut de pouvoir s'en défaire, des femmes toujours plus nombreuses en jouent. Elles usent de multiples stratagèmes pour contourner voire retourner cette croyance à leur avantage. La prison machiste gardée par le mythe de la virginité se transforme en sanctuaire sexuel, parenthèse d'une liberté réservée aux hommes.
Mounia (le prénom a été modifié), 32 ans, vit près de Monastir en Tunisie. Il y a quelques années, elle espérait se marier avec son petit ami. Avec le temps, ils finirent par faire l'amour. Puis, progressivement, ils finirent par se voir presque exclusivement pour cela. Le plaisir de la chair était si agréable, Mounia se découvrit une si grande libido. Elle ne se posait pas trop de questions. Pour elle, son petit ami était son futur mari. Elle ne risquait rien, même s'il ne lui avait rien promis.
Un jour, après une énième partie de jambes en l'air, il s'assit près d'elle sur le lit. Il sortit une photo de son portefeuille qu'il lui montra. Elle vit une jeune femme. Sans le moindre tact, son petit ami lui dit : "c'est ma fiancée, on va se marier". Choquée, en larmes, elle lui demanda des explications. Il répondit qu'il ne pouvait pas se marier avec elle car elle n'était plus vierge, même si lui-même était l'auteur de sa "salissure" et qu'il a toujours été son seul amant… Le ton de sa voix était si naturel, ses propos si évidents pour un homme biberonné au patriarcat multiséculaire transmis par une femme, sa maman.
Convaincue qu'elle ne trouvera jamais un mari puisqu'elle n'est plus "propre", et ayant découvert à quel point le sexe est agréable, Mounia enchaina les partenaires. Coiffeuse vivant dans une petite ville, elle s'organisa comme de nombreuses Tunisiennes pour préserver sa réputation tout en laissant libre cours à la satisfaction de ses désirs. L'astuce de base est de tout compartimenter. Il y a sa vie officielle (son emploi, sa famille et ses amies) et sa vie intime. Les deux ne doivent jamais se croiser. C'est la précaution minimale pour avoir un minimum de liberté. A partir du moment où elle est une employée et une amie modèle, qu'elle remplit ses devoirs de femme (faire le ménage, les courses, préparer à manger et accueillir correctement les invités de la famille) et qu'on ne la voit jamais prendre un café avec un garçon, sa réputation reste intacte. Plus l'image qu'une femme renvoie est bonne, plus grande sera sa liberté intime, car le monde qui l'entoure sera moins méfiant.
La mise en pratique relève du bon sens. Tout d'abord, elle n'a jamais cédé aux avances d'un homme résidant dans sa ville. Elle fréquentait de temps en temps les boites de nuit touristiques de Monastir et de Sousse, vivier de tous les plaisirs et préservant son anonymat. Elle s'était également inscrite sur des sites de rencontres, avait créé un autre compte Facebook, anonyme, et ouvert une seconde ligne téléphonique réservée à son autre vie. Son compte Facebook officiel affichait l'image publique qu'elle voulait donner. Cette image n'était pas fausse. C'était aussi elle. Mais elle servait de couverture. Elle choisissait toujours des hommes de Sousse ou même de Tunis, à 200 km de chez elle. Avec les tabous et la misère sexuelle, elle n'avait aucun mal à trouver des partenaires dont un certain nombre était marié. Les hommes mariés étaient mieux gérables. Ils étaient moins disponibles donc moins collants que des célibataires. Et la crainte que leur adultère soit révélé développait une forme d'obéissance à Mounia.
Plus l'image qu'une femme renvoie est bonne, plus grande sera sa liberté intime, car le monde qui l'entoure sera moins méfiant.
Les Tunisois lui payaient même les frais de déplacement et tout ce dont elle avait besoin sur place. Certains étaient charmants et respectueux, d'autres non. Elle recouchait avec les premiers, pas avec les seconds. Elle avait conscience que c'était une forme de prostitution, mais ça l'amusait. Elle pouvait coucher avec deux hommes en l'espace de deux jours, voire dans la même journée, ne plus avoir de relations sexuelles pendant un mois, coucher avec le même homme plusieurs fois par semaine durant un mois ou deux. Il n'y avait pas de régularité. La seule constante était l'activité de son compte Facebook caché et de sa seconde ligne téléphonique.
Le problème est que, si elle savait évaluer les risques sociaux et familiaux pour s'en protéger par de multiples stratagèmes, elle ne mesurait pas du tout les risques pour sa santé. Comme elle n'a jamais eu d'éducation à la sexualité, la plupart de ses rapports étaient non protégés. Elle disait "faire confiance" en la parole de ses partenaires qui lui affirmaient tous n'avoir aucune infection ni maladie. Au fil de nos échanges, elle réalisa qu'elle ignorait si on lui en avait transmises. Elle avait également eu recours une fois à l'IVG. Dans ces sociétés aussi l'IVG est couramment pratiquée, qu'elle soit légalisée (comme en Tunisie)… ou pas.
Quelques années plus tard, elle rencontra un homme de sa ville qui ignorait tout de sa vie sexuelle. Elle lui affirma qu'elle était vierge. Sa réputation caressant le niveau stratosphérique d'une sainte, sa virginité sociale était intacte. Il demanda sa main à son père. Comme il est physiologiquement impossible de prouver la perte de virginité sexuelle, ils sont aujourd'hui mariés. Elle ne lui a jamais parlé de ses multiples partenaires. Elle me déclara toutefois qu'elle ne savait pas si elle pourra se contenter du même pénis pour le reste de sa vie. L'adultère n'est pas uniquement l'apanage des hommes, chez les musulmans comme chez n'importe qui d'autre. Seulement, dans ces sociétés patriarcales, l'adultère féminin est un tabou absolu. Si un homme trompe sa femme, on peut lui trouver des circonstances atténuantes : il n'est pas heureux avec elle, elle ne sait pas le satisfaire donc il va chercher ailleurs ce qu'il ne trouve pas à la maison, etc. Cette déresponsabilisation devrait aller dans les deux sens. Mais la logique et la réflexion ne sont pas l'apanage des sociétés patriarcales.
Autre lieu, autre exemple : Zarzis est une ville de taille moyenne du sud-est tunisien. Cette région est l'une des plus conservatrices du pays. J'ai eu l'occasion de dialoguer avec plusieurs Tunisiennes qui y vivent. J'en ai aussi rencontrées quelques-unes. C'est là que j'ai compris que plus l'environnement est sexiste et conservateur, plus des femmes se lâchent sexuellement quand elles en ont l'occasion, et sans précaution pour beaucoup d'entre elles.
Maryem est médecin (le prénom a été modifié). Elle vit et travaille à Zarzis. Comme Mounia, elle avait couché avec l'homme qu'elle aimait, celui avec qui elle désirait se marier. Comme Mounia et tant d'autres, leur relation n'alla pas jusqu'au mariage. Elle se retrouva célibataire, sans virginité et avec une libido qu'elle avait découverte lors de sa relation amoureuse. Alors elle se masturbait quotidiennement avec des fantasmes de pluralités masculines ou de rapports bisexuels entre deux hommes qui s'occuperaient aussi d'elle. N'étant plus vierge, il lui arrivait parfois de coucher avec un homme, marié ou pas. Il lui arrivait également, comme beaucoup, d'avoir des relations sexuelles virtuelles en s'exhibant et en se masturbant sur skype face à un homme qui fait de même.
Mais Maryem s'inscrit dans une catégorie différente de celle de Mounia. Si cette dernière assume sa sexualité, Maryem culpabilise. Nourrie par la littérature islamiste, elle porte le voile, convaincue que se dissimuler sous un linceul, pour cacher ses cheveux et son cou du regard des hommes, serait un signe de piété. Déchirée entre les besoins naturels de son corps et ses croyances religieuses issues de l'intégrisme, elle souffrait. Il lui arrivait de pleurer au téléphone lors de nos échanges tant elle avait une piètre image d'elle-même. Sa réputation restait intacte, mais pas son hymen ni la "pureté" de ses fantasmes. Elle était aux yeux de tous une "femme bien", mais pas aux siens. Elle me disait, sans grande conviction, qu'un jour elle arrêtera ses "bêtises". Elle faisait parfois des rencontres "halal", dans l'idée de faire connaissance pour ensuite se marier. Mais à chaque fois qu'elle avoua ne plus être vierge, les hommes qu'elle rencontrait (souvent des médecins et plus généralement de classe sociale supérieure) la laissaient tomber. Son intelligence, sa gentillesse, sa tendresse, son côté attentionné et toutes ses autres qualités humaines n'étaient rien à côté de son entrecuisse. Elle n'était qu'un morceau de viande avariée sur l'étal du marché matrimonial. Ses chances de trouver un époux étaient drastiquement réduites. Pour une bonne part d'entre eux, les musulmans n'ont aucun problème à coucher avec des femmes avant de se marier, mais ils souhaitent que la leur soit vierge à la nuit de noces. Ce qui, mathématiquement, est rarement le cas. La femme avec qui couche un homme est toujours la future épouse ("vierge") d'un autre. Une autre femme de cette région me dit un jour, dépitée : "les Tunisiens peuvent être avocats, enseignants, médecins ou chefs d'entreprise, ils resteront toujours des hommes préhistoriques". Ce jugement sévère et subjectif était à la hauteur de sa colère.
A chaque fois qu'elle avoua ne plus être vierge, les hommes qu'elle rencontrait (souvent des médecins et plus généralement de classe sociale supérieure) la laissaient tomber.
Résignée et fataliste, Maryem se résolut à opter pour la même solution que tant d'autres : mentir aux hommes et "retrouver sa virginité" par une hyménoplastie (cf. 2ème partie). D'après ce que j'ai découvert, le mensonge sur la sexualité est un principe de base du mariage au Maghreb.
Une de mes amies Tunisiennes me relata un de ces moments que des femmes mariées peuvent passer ensemble pour se raconter leur vie. Ce jour-là, le sujet était la sexualité dans le couple. Une jeune mariée raconta qu'elle aimait faire des fellations à son mari. Mais elle s'y prenait naturellement si bien que cela provoqua la colère de son époux. Pour lui, elle ne pouvait pas s'y prendre comme une "pro" sans avoir de l'expérience. S'il n'avait aucun problème à s'être fait sucer avant de se marier, il lui était inconcevable que son épouse ait pu sucer d'autres pénis avant le sien. Ces hommes ne comprennent pas qu'une personne peut naturellement être douée pour telle ou telle pratique sexuelle sans l'avoir jamais pratiquée. La jeune femme, sincère, raconta qu'elle a tout tenté pour le convaincre qu'elle n'avait jamais rien fait auparavant, en vain. Une autre femme du groupe qui, elle, avait justement vécu des relations sexuelles avant de connaitre son mari, avait conscience du risque. Elle suçait volontairement maladroitement son époux au début de leur mariage. Il ne s'est jamais méfié.
Avant le football, l'adultère est le premier sport national au Maghreb.
Cette conversation relatée par mon amie rejoint d'autres conversations que j'avais eues avec des Maghrébines et des françaises d'origine maghrébines. En général, les rares femmes non expérimentées n'étaient, au début de leur mariage, pas attentives à ce que pourrait penser leur mari sur ce sujet. Les autres savaient jouer de ruses pour jouer les néophytes. Mais rapidement, toutes adoptaient le même comportement : ne jamais pleinement se lâcher au lit. Qu'elles aient été vierges ou pas, la crainte d'être perçues comme des "putes" par leurs époux les condamnait à ne jamais avoir d'orgasmes. L'ironie de la chose est que le mari n'étant lui aussi pas satisfait, il ira voir ailleurs. Avant le football, l'adultère est le premier sport national au Maghreb. Concernant la sexualité, le mensonge est bien la base du mariage dans le monde "merveilleux" du patriarcat.
Je retrouvais les mêmes histoires en Algérie. J'ai en mémoire cette étudiante de 27 ans qui vivait près de Tizi Ouzou. Elle me raconta qu'elle adorait pratiquer des fellations. Avec elle comme avec toutes les autres, le sujet le plus difficile à aborder est la sexualité. Leurs sociétés sont si conservatrices, la sexualité si taboue et celle des femmes si diabolisée, qu'elles ne se sont jamais livrées facilement. Elles sont habituées à présenter une image "acceptable" d'elles-mêmes. "C'est un réflexe", comme cette étudiante me le précisa. Le fait d'être français les rassurait en partie. Je ne vis pas là-bas et ne connais personne de leur entourage familial, amical ou professionnel. Elle pouvait donc me parler sans risque que cela se sache. Avec le temps, elles étaient plus à l'aise et se laissaient aller à des confidences sans filtre. Ainsi, toutes déclaraient au départ être vierges et qu'elles se préservaient pour leur futur mari. A l'arrivée, rares étaient celles qui maintenaient cette affirmation.
L'étudiante était dans ce cas. Célibataire et vierge, elle affirmait se réserver pour son futur mari. Après plusieurs semaines, elle se mit à se confier sur son intimité. Elle me dit n'avoir jamais été pénétrée. Elle se limitait au "frottage" (rester habillé et frotter les deux sexes) et plus fréquemment aux "coups de pinceau" (au Maghreb, cette expression est prononcée en français) : nu, l'homme frotte son sexe sur celui de sa partenaire (lèvres et clitoris), comme un pinceau passerait sur une toile, suivi d'une éjaculation externe, sans qu'il y ait eu pénétration. Une pratique largement répandue pour préserver l'hymen et un minimum de "morale". Mais il y avait une chose qu'elle aimait par-dessus tout : la fellation. Elle adorait ça. Elle m'avoua avoir sucé plusieurs dizaines d'hommes. Outre le plaisir, elle expliquait sa "performance" par la pression et les tabous de la société. Ses fellations et "coups de pinceau" étaient une sorte de parenthèse de liberté, une soupape de décompression, et le sentiment agréable de la transgression. Cette envie était commode puisque, selon elle, elle restait sexuellement vierge. Mais là encore, sans éducation sexuelle, elle ne s'est jamais protégée. Elle n'imaginait pas courir le moindre risque d'infections et de maladies.
Une autre algérienne que je connaissais ne se protégeait pas non plus. Pourtant, elle, avait des pratiques avec pénétration. Sa sexualité était débridée. Elle adorait le sexe et n'avait aucun état d'âme à satisfaire ses désirs et ses fantasmes. "Je ne suis pas une pute. Ce sont les hommes qui le sont. Ils nous tiennent par le patriarcat, je les tiens par la queue", comme elle aime le dire. Habitant sur la côte, sa saison préférée est l'été. A cette période, les Algériens vivant à l'étranger viennent se détendre pour quelques semaines. Elle y trouve son terrain de chasse favori : des hommes plus nombreux que le reste de l'année et inconnus pour être sûre qu'ils ne pourront jamais dévoiler sa double vie. J'ai été impressionné par l'éventail de ses expériences : pluralité masculine, rapports saphiques, trio avec des couples mariés, etc. Elle avait un appétit sexuel et le désir de varier les expériences assez impressionnants. Elle n'avait pas trop de mal à trouver des hommes, des femmes et des couples dans son pays. Comme Mounia qui préférait Tunis comme terrain de jeu, cette Algérienne préférait Alger, grande ville la plus proche de chez elle. Jouant savamment de l'hypocrisie et de la bêtise culturelle, sa réputation était intacte. Aux yeux de tous, elle était vierge, une "femme bien". Elle savait qu'il était médicalement impossible de savoir si elle est sexuellement vierge ou pas. Au pire, elle fera une hyménoplastie quelques jours avant de se marier, "comme tout le monde chez nous".
Une étudiante algérienne de 21 ans me raconta elle aussi ses stratagèmes pour vivre sa sexualité. Le premier est l'image qu'elle doit renvoyer : "A partir du moment où je fais ce qu'on attend de moi à la maison, que je fais le ménage, que je m'occupe de mes petits frères, que je ne traine pas dehors et que je ramène des bonnes notes, je suis libre, personne ne se méfie". Comme les autres, elle avait un deuxième compte Facebook et un second téléphone. Elle savait jongler entre ses deux images. Elle disait aller à des cours inexistants, prétendait étudier chez une amie fantôme, prétextait être invitée au mariage imaginaire d'une camarade de fac, etc. Elle ne consommait pas les hommes. Chacun était son petit ami du moment. Elle vivait une relation amoureuse qui durait en général plusieurs mois. Le sexe était le corollaire naturel de ses relations. C'est sa société qui lui paraissait contre-nature.
Je connais peu de Marocaines. Celles que j'ai connues n'étaient pas plus vierges que les autres. L'une d'entre elles avait aussi perdu sa virginité avec un homme qu'elle imaginait être son futur époux. Depuis, elle ne cherchait pas activement un rapport sexuel. Mais lorsque l'occasion se présentait, pourquoi se priver puisque de toute façon il était "trop tard" ? Elle ne voulait pas se marier avec un Marocain. Elle me disait détester "leur mentalité machiste et hypocrite".
Toutes ces femmes ont des parcours et des caractères différents. Mais elles ont toutes en commun la volonté de contourner leur société patriarcale pour avoir un minimum de liberté. Pour cela, elles passent toutes par d'inéluctables mensonges et un cloisonnement à la limite de la schizophrénie entre leur vie de femme qui leur appartient, et leur vie de "fille de" et "sœur de" qui appartient à la communauté.
Un autre moyen commun de leur contournement est leur façon de se vêtir. Aucune d'entre elles ne s'habillait sexy (sauf pour aller en boite de nuit). Certaines n'étaient même pas coquettes. A ma question sur ses tenues vestimentaires, une Tunisoise me répondit qu'il n'était pas nécessaire d'être sexy pour trouver un homme. "Ils ont tellement faim chez nous qu'on les ramasse à la pelle sans faire d'efforts". Leurs concitoyen(ne)s sont convaincus que "l'honneur" d'une femme peut se mesurer à la longueur de ses vêtements. Plus une femme s'habille sexy, plus elle est perçue comme une "pute". Une femme qui porte des vêtements amples et, mieux encore, le voile, a toutes les chances d'être vue comme une "femme bien". Ainsi, les femmes sexy se font plus remarquer que les autres. Les femmes qui désirent vivre leur sexualité tranquillement n'ont alors qu'une solution : s'habiller de façon classique pour passer inaperçues. Les femmes les plus sexuellement libres sont celles qui se font les plus discrètes. Si nous prenions par l'absurde le faux critère de la longueur des vêtements ancré bêtement dans la mentalité, alors la conclusion devrait être inversée : moins une femme est sexy, plus elle est une "pute"…
La stratégie de ces femmes est ainsi de pouvoir vivre leur sexualité tout en exposant une image de vierge immaculée à leur entourage et à la société. Vivre au XXIe siècle tout en souhaitant respecter des principes moyenâgeux concernant les mœurs, a amené ces sociétés à vivre dans l'hypocrisie voire la schizophrénie.
D'autres amies maghrébines, ou celles avec qui j'ai simplement échangé, se disaient vierges par défaut. A regret, elles n'avaient pas encore eu l'occasion de coucher avec un garçon. Les hommes ne manquent pas. Mais, argument commun à toutes, elles ne se sentent pas respectées par les Maghrébins lorsque la relation est seulement sexuelle. De plus, le risque est trop grand, selon elles, d'être dénoncées par le partenaire. Elles ont besoin d'avoir confiance et d'être respectées.
Une petite minorité des Maghrébines que j'ai connues souhaitaient être vierges au mariage. Elles me disaient toutes qu'elles ne ressentaient aucun désir sexuel pour un homme qui ne serait pas le leur. Formatées par leur éducation patriarcale, elles avaient intégré tout ce qu'on leur avait appris et répété depuis leur naissance. Ainsi, "faire du sexe" n'était possible qu'une fois mariées. Ce n'est même pas l'amour qui leur donnerait l'envie de passer à l'acte. Le désir de découvrir, de partager le corps de l'Être aimé comme on partage son cœur n'était pas une bonne raison. Le romantisme n'a pas sa place dans le patriarcat. Seul le bout de papier signé à la mairie, faisant d'elles des femmes mariées, déclenchera le top départ.
Au début, toutes affichaient un "libre choix" affirmé. Avec le temps, au fil de nos discussions, elles réalisaient que ce n'était pas leur corps qui ne manifestait pas de désir mais leur esprit qui le refusait, lesté par tout le poids de leur culture. Il leur était psychologiquement impossible d'aller au-delà du flirt. Faire l'amour doit être réservé au futur mari. Futur mari qui, bien-sûr, ne se sera pas gêné pour avoir eu des relations sexuelles avant de rencontrer sa future épouse. Leur monde est ainsi fait : l'homme célibataire peut vivre ses expériences, la femme célibataire doit vivre sa frustration.
Ce n'était pas leur corps qui ne manifestait pas de désir mais leur esprit qui le refusait, lesté par tout le poids de leur culture.
Dans l'imaginaire collectif des sociétés et communautés patriarcales du XXIe siècle, la majorité des hommes ne sont plus vierges au mariage alors que la majorité des femmes le serait. Rationnellement illogique, cette croyance a l'avantage de ne pas perturber une société ou une communauté, en tout cas en surface. Au fil de mes rencontres et observations, j'ai compris qu'il y a l'image que l'individu et la société veulent renvoyer, et la réalité qui doit rester dissimulée. Finalement, l'interdit n'est pas la sexualité hors mariage. L'interdit est de se faire prendre, que cela se sache. Si on sait être discret et ne pas salir l'image si parfaite de la famille et de la société, alors c'est "open bar". C'est le seul moyen qui permet de maintenir à bout de bras des traditions anachroniques et contre-nature.
Mes constats et analyses personnels sont-ils proches de la réalité d'ensemble du Maghreb ? Quelle est cette réalité que ces sociétés trouvent si pratique d'occulter au point de se convaincre que ce qui ne se voit pas n'existe pas ? Quelle est la situation en France ? Je m'attacherai à répondre à ces questions, chiffres à l'appui, dans la dernière partie de cet article.
Le mythe de la virginité est entretenu pour sauver le patriarcat (1ère partie)
Le mythe de la virginité est entretenu pour sauver le patriarcat (2ème partie)
Le mythe de la virginité est entretenu pour sauver le patriarcat (4ème partie)