Le ramadan, prescrit dans le Coran (sourate 2, verset 183), est un des cinq piliers de l'islam. Cela consiste à ne rien ingérer et à s'abstenir de toute relation sexuelle du lever au coucher du soleil pendant un mois. Le ramadan est un acte de foi, profondément religieux et spirituel. Ce mois sacré pour les musulmans est censé être une période de recueillement spirituel, voire mystique, un moment privilégié entre le fidèle et ce qu'il désigne être son "Créateur". Le jeûne physique permettrait à l'esprit d'être plus proche de Dieu. C'est donc aussi une période de célébration du Coran. Les fidèles se plongent dans ces écrits de façon encore plus intense que le reste de l'année. Enfin, le ramadan est également censé être une période plus solidaire, notamment avec les pauvres.
Voilà pour la théorie. Seulement, il y a souvent un gouffre entre les prescriptions religieuses et leur mise en pratique par les fidèles, quelle que soit la religion.
De nos jours, l'aspect spirituel du ramadan passe souvent à la trappe. Comme pour le reste, cette pratique devient plus un affichage pour montrer qu'on est un "bon musulman". Le ramadan est devenu plus culturel, festif, folklorique et identitaire que religieux et spirituel.
L'hypocrisie est souvent de mise. Nombre de musulmans sont par exemple convaincus que pratiquer le ramadan permettrait l'effacement de tous leurs péchés commis le reste de l'année. On pourrait donc manquer de respect aux femmes, à ses voisins ou ses collègues, pratiquer l'adultère, commettre des infractions, tout sera pardonné si on s'astreint à 30 jours de jeûne. On peut aussi s'abstenir de fumer des cigarettes la journée. Puis replonger dans ce pêché de toxicomane le soir venu.
Le ramadan est devenu plus culturel, festif, folklorique et identitaire que religieux et spirituel.
Certains musulmans considèrent aussi l'islam comme un jeu : chaque action de la vie serait comptabilisée dans une sorte de cahier de comptabilité. Telle bonne action rapporterait tant de points, telle mauvaise en rapporterait d'autres. Le jour du Jugement, Dieu fera le solde de tout compte. Si les bons points sont excédentaires, alors l'individu gagnera sa place au paradis. Sinon…
Cette vision manichéenne et puérile de l'islam a des conséquences pour le fidèle concerné. Le ramadan et l'aide aux pauvres qui l'accompagne sont alors pratiqués hypocritement (sachant que l'aumône, autre pilier de l'islam, est censée être pratiquée toute l'année). En effet, le but n'est plus spirituel ni d'aider son prochain. Il est de gagner des points. La pratique du ramadan et l'aide aux indigents n'en sont plus que le moyen. L'action devient plus importante que l'intention par l'espoir de satisfaire Dieu ou la crainte de son châtiment. S'ils ne craignaient pas son "Créateur", ils ne jeûneraient pas et ne donneraient jamais rien à un pauvre. Or, Dieu est supposé être capable de sonder les cœurs et d'en tenir compte. Un athée qui donne par altruisme quelques pièces à un mendiant aura plus de mérite qu'un musulman qui donne par fayotage dans l'espoir de faire plaisir à Dieu et de gagner quelques points pour son accès au paradis. Preuve en est qu'à la fin du ramadan nombre de musulmans n'aident plus personne durant les 11 mois suivants (de plus, l'aide est destinée quasi exclusivement aux musulmans. Tant pis pour les autres pauvres. Ils n'ont qu'à se convertir).
Un athée qui donne par altruisme quelques pièces à un mendiant aura plus de mérite qu'un musulman qui donne par fayotage dans l'espoir de faire plaisir à Dieu et de gagner quelques points pour son accès au paradis.
Une autre raison avancée pour le ramadan est la volonté de se rapprocher de ce que ressentiraient les personnes qui ne mangent pas à leur faim. Argument louable mais infondé. Si un individu qui meurt de faim avait la possibilité de manger, il n'attendrait pas le coucher du soleil. Un individu qui meurt de faim ne sait pas forcément non plus s'il pourra manger le soir. Echéance dévolue à la pratique du ramadan, pas à l'indigent qui n'a pas de quoi se nourrir. Enfin, le ramadan est aujourd'hui devenu festif. A la nuit tombée, on ne compte plus les festins familiaux ou les repas gargantuesques à l'extérieur (restaurants, marchands ambulants, etc.). On jeûne toute la journée pour se goinfrer le soir. Nous sommes bien loin du recueillement mystique et de la solidarité de l'estomac avec les pauvres.
Quelques exemples de repas durant le ramadan, par solidarité avec ceux qui ont faim...
L'éloignement de la philosophie du ramadan s'exprime pour certains jusque dans le vocabulaire. Lors de mes quelques séjours à Alger, je fus particulièrement surpris de très peu entendre le terme "ramadan", remplacé par "carême", vestige linguistique et culturel de la colonisation française. Certains français de confession musulmane utilisent également ce terme. Les Algériens sont pourtant plutôt nationalistes et désirent arabiser tous les domaines pour se faire les chantres de la culture arabe, en reniant même leurs racines berbères. Ils sont aussi très attachés à faire de l'islam leur identité première et de rester fidèles au message coranique. Pourtant, en tout cas chez les Algérois, ils utilisent un terme chrétien hérité de la colonisation pour nommer la période religieuse la plus importante pour les musulmans…
Ce n'est pas qu'une question de vocabulaire. Le carême fait partie des pratiques chrétiennes les plus importantes. C’est une période de jeûne et de pénitence de quarante jours (30 jours pour le ramadan) en référence aux quarante jours de jeûne effectués par Jésus-Christ dans le désert. C’est la période de préparation à la fête de Pâques qui est, dans le calendrier chrétien, la plus grande fête de l'année : elle commémore et célèbre la résurrection du Christ. Or, une telle célébration est impossible pour les musulmans puisque, pour eux, Jésus n’est pas ressuscité : Dieu l'aurait remplacé par un sosie avant la crucifixion. La résurrection est uniquement une croyance chrétienne.
Autre différence avec l’islam : le jeûne du carême n'est pas total durant la journée. De plus, contrairement au ramadan, ce jeûne concerne uniquement les personnes majeures, jusqu’à l’âge de 59 ans, et les dimanches ne sont pas jeunés, puisque c’est le jour du seigneur.
Enfin, la fin du ramadan est marquée par l’Aïd, la fin du carême par Pâques. Les musulmans qui parlent de "carême" devraient donc aller au bout de leur logique en proclamant qu’ils fêtent Pâques et la résurrection du Christ, pendant que tous les autres musulmans fêtent l’Aïd.
Concernant la pratique, et contrairement à ce que beaucoup de non musulmans imaginent, l'islam est particulièrement souple. C'est le cas pour le ramadan. La première idée reçue est son caractère obligatoire. Or, le Coran invite, incite, à jeûner mais ne contraint pas (sourate 2 verset 184). D'ailleurs, le célèbre verset "nulle contrainte en religion" est une nouvelle fois là pour le rappeler (sourate 2 verset 256). La raison est simple : obliger quelqu'un à faire quelque chose est contradictoire avec la sincérité que requiert toute pratique religieuse. Le caractère obligatoire du ramadan s'est construit par la suite, au fil des siècles.
Obliger quelqu'un à faire quelque chose est contradictoire avec la sincérité que requiert toute pratique religieuse.
Même à l'intérieur de cette pratique il existe des souplesses. Une personne malade ou en voyage peut s'abstenir de jeuner pendant le ramadan (sourate 2 verset 184). Elle peut alors rattraper ces jours à un autre moment de l'année ou bien, "pour ceux qui ne pourraient le supporter (qu’avec grande difficulté), il y a une compensation : nourrir un pauvre" (Ibid). Ce cadre, déjà souple, est valable dans une société musulmane. Dans les sociétés non musulmanes et laïques, la liberté religieuse est protégée mais ne peut être supérieure aux lois républicaines. Pourtant, des musulmans n'hésitent pas à demander des aménagements souvent impossibles à leur employeur, malgré les règlements. D'autres continuent à pratiquer le ramadan durant l'été et pendant leur temps de travail au péril du bon déroulement de celui-ci. C'est le cas par exemple d'animateurs en centre de vacances ou centres de loisirs. En charge de la sécurité des enfants, notamment en conduisant par exemple un mini bus, le fait de ne pas manger ni boire par temps de chaleur durant plus de 12 heures, tout en faisant des efforts physiques (sport, jeux collectifs), représente au mieux une baisse de la qualité du travail et de l'attention nécessaire à accorder au bien-être des enfants, au pire un danger.
Ces intransigeances de nombre de musulmans contrastent avec la souplesse décrite dans le Coran. C'est à celui ou celle qui "respectera" le mieux ce qu'ils croient être un ordre divin, une victoire non pas du spirituel mais du rigorisme de la pratique sur la société mécréante.
Cette intransigeance fait du ramadan un des sujets qui révèle le mieux le gouffre entre les représentations du concept de "respect". Il y a d'un côté la définition du dictionnaire, de l'autre celle d'une partie des musulmans.
Larousse définit le respect par le "sentiment de considération envers quelqu'un, et qui porte à le traiter avec des égards particuliers". Pour résumer la vision des musulmans dont je parle, je définis leur perception du respect ainsi : "sentiment de considération envers l'islam et les musulmans, et qui porte à les traiter avec des égards particuliers".
La définition du dictionnaire peut amener à une réciprocité : on se respecte les uns les autres. La définition de ces musulmans est unilatérale : on doit respecter l'islam et les musulmans, sans pour autant que ces musulmans respectent autrui. En théorie, la liberté des uns s'arrête où commence celle des autres. En réalité, là où les musulmans sont majoritaires, la liberté individuelle des non pratiquants doit se soumettre à celle de la communauté musulmane.
Dans les pays musulmans, cette définition particulière du respect a des conséquences visibles dont le ramadan est un des facteurs clés. Prenons l'exemple de la Tunisie. Il n'existe aucune statistique évaluant le nombre de musulmans dans ce pays. Mais il est communément admis que l'écrasante majorité des Tunisiens serait cultuellement musulmane. Il y est également communément admis que les Tunisiens non musulmans ou non pratiquants doivent se faire discrets. C'est particulièrement vrai durant la période du ramadan.
Lors de l'un de mes séjours en Tunisie, une amie tunisienne m'avait dit d'un air amusé : "Je suis athée. Si je fais le ramadan, ce n'est pas par peur de Dieu mais par peur de ma mère". Cette réflexion à prendre au second degré résumait la conversation que nous avions eue, que j'avais aussi eue avec de nombreux Maghrébins et la situation d'un nombre non négligeable de personnes vivant dans les pays musulmans.
Rares sont les Tunisiens à assumer leur athéisme. La société le désapprouve. Quelques familles acceptent la diversité des croyances et la non croyance. Mais elles restent exceptionnelles. En général, les familles des personnes concernées vivraient cela comme un drame, une trahison. Cette honte, cette tâche sur l'honneur de la famille, doit être dissimulée. Les athées sont ainsi contraints à la clandestinité de la pensée. Ils doivent jouer un rôle, celui du bon croyant. Cela leur permet de ne pas être agressé à l'extérieur (verbalement et parfois physiquement) et de ne pas blesser les parents à l'intérieur.
De nombreux croyants Tunisiens n'ont aussi aucune envie de prier ou de faire le ramadan. Sont-ils plus nombreux que les athées ? Je ne sais pas. Aucune étude sérieuse n'a permis de le quantifier. Les conséquences néfastes sont si importantes en cas d'athéisme révélé qu'ils le dissimulent. C'est comme pour l'homosexualité : peu oseraient faire leur "coming out". Quel que soit le chiffre qui serait avancé, il sera sous-évalué.
Ainsi, certains athées se déclarent musulmans non pratiquants. Être croyant est le "minimum syndical". Ne pas reconnaitre Dieu et son messager Mohamed est pire que tuer une vieille dame après l'avoir torturée ou la décapitation d'un Être humain par un terroriste de DAESH. A leurs yeux, aucun crime n'est plus monstrueux que l'athéisme. C'est ce qu'ils appellent le respect…
Musulmans non pratiquants ou athées, beaucoup feignent de faire le ramadan et mangent en cachette comme des voleurs. C'était le cas de mon amie.
L'athéisme est comme l'homosexualité : peu oseraient faire leur "coming out".
Cette forme de "respect" m'avait été formulée ainsi par une Tunisienne musulmane pratiquante : s'abstenir devant quelqu'un qui jeûne, à mon avis, rentre sous le volet du respect. Un athée vivant dans une famille souhaitant respecter les traditions et la religion a aussi intérêt à se faire tout petit. Donc, ton dilemme rentre plutôt dans le chapitre du "respect d'autrui, du patrimoine culturel des traditions" et non pas la pression religieuse. Ce type d'arguments est un grand classique et illustre bien la notion toute relative qu'ils ont du respect. Leur vision est bien à sens unique : le leur.
Un individu n'a pas à s'abstenir de manger devant quelqu'un qui jeûne. Celui qui mange ne fait rien de mal. Il satisfait un besoin naturel. Pour jouir d'un des droits les plus élémentaires de l'Humanité, se nourrir, il faudrait se cacher comme un délinquant… par respect. Le terme est totalement dévoyé.
Le non-jeûneur ne doit pas empêcher le pratiquant de jeûner. Celui qui jeûne ne doit pas empêcher l'autre de manger librement. Là est le respect. Si le fait de manger devant un jeûneur est perturbant pour sa pratique, il a des questions à se poser sur la solidité de sa foi.
Quant au "respect d'autrui, du patrimoine culturel des traditions et non pas la pression religieuse", le ramadan est avant tout une pratique religieuse avant d'être traditionnelle, même si cela peut être vécu uniquement de façon culturelle par des musulmans toujours plus nombreux. L'argument du respect des traditions illustre encore une fois le rejet des libertés individuelles au profit du "respect" des pratiques de la communauté. S'abstenir de manger devant quelqu'un qui jeûne par respect pour cette personne, pour sa famille ou ses parents, se base sur une notion purement religieuse et totalitaire du respect, pas sur une notion universaliste.
Si le fait de manger devant un jeûneur est perturbant pour sa pratique, il a des questions à se poser sur la solidité de sa foi.
Ainsi, à aucun moment les promoteurs du respect "islamique" n'évoquent le respect dû au non-jeûneur. Leur définition s'arrête à mi-chemin, sans la moindre réciprocité. Il ne leur vient jamais à l'esprit que, s’il ne faut pas offenser le jeûneur, il ne faut pas non plus offenser le non-jeûneur. Surtout que ce dernier ne fait que satisfaire un besoin élémentaire qui ne retire aucune liberté au premier. Autrement dit, leur notion du respect est : "respectez nous totalement et on vous respectera peut-être un peu".
Ce "détail" leur importe peu et amène un autre argument de leur part. Certains se déplacent en France pour raisons professionnelles. D'autres sont français. Ils déclarent que leurs collègues de travail non musulmans ne mangent pas devant eux durant le ramadan, par "respect". Selon eux, c'est bien la preuve que ces collègues seraient respectueux par rapport à d'autres qui continueraient à vivre normalement et à manger en leur présence. Là est toute la perversité de leur raisonnement. Dans un pays majoritairement musulman, il faudrait ne pas manger dans la rue, au travail et partout où se trouveraient des jeûneurs, par respect pour eux, pour la majorité et pour les traditions. Dans un pays laïc et majoritairement déconfessionnalisé, il faudrait ne pas manger devant les musulmans jeûneurs par tolérance et respect de la minorité religieuse. Les musulmans pratiquants auraient ainsi droit à un statut privilégié, un respect supérieur à celui dû aux autres, quels que soient la situation et le pays où ils se trouvent.
Personnellement, il m'est impossible d'imaginer interdire à quelqu'un de manger devant moi parce que je refuserais de me nourrir durant la journée. Même si la personne me le proposait, je serais très mal à l'aise. Ce serait à moi d'assumer mon choix, pas aux autres. Ne pas imposer sa foi, ou ses conséquences, relève de l'éducation et du savoir-vivre.
D'un autre côté, le non-jeûneur ne doit évidemment pas ignorer le ramadan de son entourage, sans pour autant se cacher quand il mange. Mais le compromis n'est pas de mise pour ces musulmans pratiquants. Ils considèrent l'unilatéralité de leur respect comme étant universelle.
Ne pas imposer sa foi, ou ses conséquences, relève de l'éducation et du savoir-vivre.
La question du ramadan est une parmi d'autres. Cette pression sociale sur l'individu explique pourquoi les musulmans sont officiellement ultra majoritaires en Tunisie. Quand il est plus facile d'affirmer son islamité que son athéisme, quand tout est fait pour favoriser la parole religieuse et censurer les idées universalistes, il est logique que ce refus des libertés individuelles ait pour conséquence un nombre écrasant de citoyens qui se déclarent musulmans. Si la dictature théocratique n'est pas politique, elle est sociale.
Toute l'hypocrisie autour du ramadan par ces cafés aux vitres opacifiées pour ne pas être vu de l'extérieur, et des stratagèmes pour manger en cachette tout en faisant croire qu'on jeûne, est exprimée par des Tunisiens sur les réseaux sociaux. Un documentaire en particulier relate tout ceci : "Laïcité Inchallah", sorti en salle en 2011. Il fit scandale en Tunisie. Sa réalisatrice, Nadia El Fani, fut menacée de mort et dut quitter le pays pour sa sécurité. Pour nombre de musulmans, il n'est jamais agréable de mettre le nez dans le tabou nauséabond de leur hypocrisie religieuse.
Pour ma part, je n'ai jamais souhaité partir en vacances en Tunisie durant le ramadan. On m'a souvent dit et répété que l'ambiance est incroyablement bonne durant cette période. Le soir les rues sont animées, les gens sortent en famille, mangent et s'amusent. Il règne une atmosphère agréable et différente du reste de l'année. Je n'en doute pas. Mais quid de la journée ? L'ambiance est totalement opposée avant le coucher du soleil. Vivre ce que vivent les non-jeûneurs tunisiens n'a jamais été pour moi le top festif des vacances.
L'apparition des réseaux sociaux a permis à des Maghrébins de s'organiser pour exprimer leur ras-le-bol. Au Maroc, en Algérie (surtout en Kabylie) et en Tunisie, des groupes de "dé-jeûneurs" ont été créés depuis plusieurs années. Certains mènent des actions collectives pour organiser des pique-niques publics et bon enfant durant le ramadan. D'autres se prennent en photo en train de manger et les postent sur internet. Si quelques participants à ces pique-niques peuvent provoquer verbalement les jeûneurs (comme en Kabylie) pour exprimer leur ras-le-bol de cette dictature religieuse de la société, leurs actions ne sont jamais violentes. Elles sont pacifiques et n'ont pas pour but de contraindre les musulmans à ne pas faire le ramadan. Elles n'ont jamais été une entrave à cette pratique. C'est seulement l'expression d'une liberté qui ne retire rien à celle des autres. Pourtant, les menaces et agressions ne sont pas rares envers ces "dé-jeûneurs". Il faut avoir une bonne dose de courage ou d'inconscience pour organiser un pique-nique en plein ramadan en Algérie. Nous sommes encore une fois face au "respect" version religieuse où s'expriment "la paix, l'amour et la tolérance" de ces musulmans...
La pression sur les athées est si forte et parfois violente qu'ils se lâchent verbalement dès qu'ils en ont la possibilité. Personnellement, les propos les plus durs, violents et insultants contre l'islam, le Coran et le Prophète Mohamed que j'ai pu entendre ont été prononcés par des Tunisiens et des Algériens dans leurs pays respectifs. C'est d'ailleurs en Tunisie que j'avais pour la première fois entendu le Prophète être insulté de pédophile. L'expression de la peur et du rejet de l'islam est une réalité bien plus forte dans ces pays musulmans où les libertés individuelles et la liberté d'expression n'existent pas.
Les réseaux sociaux ont libéré cette parole. Si l'ère du numérique a permis de rapprocher les fanatiques, elle a aussi permis de rapprocher les apostats ou simplement des musulmans progressistes et laïques. De multiples pages Facebook se sont créées. Certaines sont purement spirituelles et progressistes, d'autres sont laïques, quand d'autres consacrent l'apostasie et le rejet de l'islam. Mais l'influence de ces pages est à relativiser. En comparant leur nombre d'abonnés par rapport aux pages faisant la promotion de l'islamisme, on constate un rapport de 1 à 10, voire plus. La crainte des apostats d'être repérés et reconnus est bien trop grande. Afficher son amour de l'islam sur les réseaux sociaux n'a, là aussi, pas les mêmes conséquences dans un pays musulman que d'afficher son rejet. Dans le premier cas, les personnes sont valorisées ou, au pire, moquées. Dans l'autre, elles sont menacées, agressées voire condamnées à mort. La condamnation à mort n'est pas forcément décidée par les États mais par des concitoyens qui s'octroient ce droit. Telle est l'attitude des islamistes qui se définissent comme "opprimés" dans les pays où l'islam est minoritaire, mais qui sont en réalité des oppresseurs dans tous les pays où ils se trouvent, musulmans ou pas.
Dans un pays laïc comme le nôtre, le blasphème, ou même être apostat, n'est pas aussi grave. Mais elle n'est pas évidente pour de nombreux français issus de familles musulmanes. Il existe souvent les mêmes pressions pour "respecter" la famille. L'environnement extérieur peut aussi être une source de pression.
Pour ma part, ma mère était conciliante. Un compromis de bon sens s'était installé à la maison. Le repas était préparé uniquement pour le soir. Je mangeais parfois avec ma famille, dont tous les membres sont pratiquants, pour partager ce moment avec eux, même si ce n'était pas l'heure habituelle du diner. Pour le déjeuner, je mangeais ce qui restait de la veille ou je me préparais un petit quelque chose, en général sans cuisson trop odorante, justement par respect. En revanche, je ne me cachais pas. Il m'arrivait de manger avec un membre de ma famille assis à côté. Sa foi n'était pas ébranlée parce que je me nourrissais. Je ne mangeais pas caché dans un placard par "respect".
Cependant, il m'est arrivé, comme à d'autres, de subir des remarques par des musulmans de mon quartier, et même de quelques membres de ma famille en Tunisie. Ce n'était jamais menaçant. La pression était diffuse. On me faisait comprendre que j'étais sur le mauvais chemin. On essayait de me convaincre de faire le ramadan.
Ces personnes n'étaient pas méchantes. Elles ne pensaient pas à mal, au contraire. Pour elles, leurs remarques étaient faites pour mon bien. D'après elles, la vie sur terre étant provisoire, l'important serait la vie éternelle après la mort physique. Elles n'avaient aucune envie que j'aille brûler en enfer pour l'éternité, condamnation possible si je ne faisais pas le ramadan. Ces bonnes intentions originelles rendaient leur comportement d'autant plus effrayant.
Si cette situation n'arrivait qu'une fois par an, ce ne serait pas grave. Mais cela pouvait se produire assez souvent, par plusieurs personnes différentes. Elles ignoraient les autres petits coups de pression que j'avais vécus par d'autres. C'était fatiguant et, à la longue, humiliant et énervant. Et si nous inversions les rôles et que je tentais de les convaincre de ne plus faire le ramadan car j'estime que ça ne sert à rien ? Impossible : ce serait vécu comme un manque de respect et un blasphème de ma part... Toujours ce fameux respect à sens unique.
Au-delà de ma personne, j'ai aussi pu observer à de nombreuses reprises en France ce type de situations subies, quand je prenais les transports en commun. Durant le ramadan, j'avais toutes les chances d'être témoin de cela. En voici un exemple : assis dans le tramway, deux adolescentes papotaient à deux mètres devant moi. Un jeune homme s'approcha d'elles. Visiblement, il en connaissait au moins une des deux. Il leur demanda sur un ton moralisateur si elles faisaient le ramadan. Elles lui répondirent que non et ressentirent immédiatement le besoin de se justifier. Elles étaient sans doute habituées, comme moi, à ce type d'échanges. L'une ne le faisait pas ce jour-là car elle aurait malencontreusement "cassé" le jeûne. L'autre promit de le faire dès le lendemain. La séquence moralisatrice de ce jeune homme dura tout leur trajet. Il n'était visiblement pas de leur famille. C'était une connaissance du quartier, degré suffisant pour lui donner ce droit moral et remettre ces "égarées" sur le "bon chemin".
Cela ne se produisait pas auparavant. Le phénomène est apparu dans les années 1990. Je l'avais aussi vu apparaitre dans mon métier dès cette époque. Quelques adolescents dont j'avais la charge à la Maison des Jeunes et de la Culture (MJC) commencèrent à vérifier si tous les jeunes musulmans présents faisaient bien le ramadan. Ceux qui ne le faisaient pas étaient pointés du doigt. Je n'étais pas resté sans réagir. Mais j'avoue ne pas avoir mesuré à l'époque l'ampleur et la gravité du problème. Personne ne l'avait mesuré.
Cette notion particulière du respect échappe à nos politiques qui clament encore et encore que "la laïcité est la liberté de croire et de ne pas croire, de pratiquer ou pas, de changer de religion ou de ne pas en avoir". Leur incantation de cette juste théorie censée se suffire à elle-même est déconnectée du réel pour les français cultuellement/culturellement musulmans. En cette période de ramadan, il est donc nécessaire de rappeler que cette pratique est parfois un outil prosélyte, éloigné de sa signification spirituelle. Il est aussi important de rappeler que le Coran, tout comme les lois républicaines, affirme que toute pratique religieuse doit être un choix individuel. Il est donc aussi important, enfin, d'avoir une pensée pour les ex musulmans ou musulmans non pratiquants "coupables" de ne pas jeûner.