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Naëm Bestandji

Féminisme / Universalisme / Laïcité

dossiers - Voile - ''grand voile'', sourate 33 verset 59, sourate 33 verset 60, Mohamed Talbi

"l'obligation religieuse du voile" créée par les intégristes : une hérésie sexiste combattue par les musulmans rationalistes, Coran à l'appui (2ème partie)

Par Naëm Bestandji . Publié le 14 Septembre 2018 à 10h42

La Rencontre Annuelle des Frères Musulmans au Bourget, avril 2018. Le voile était partout : boutiques et librairies pour femmes et fillettes, sans oublier les jouets.

Dans la première partie, j'ai brièvement présenté les luttes internes au monde musulman entre rationalistes et islamistes, posé le cadre de la Révélation du Coran partagée entre la période mecquoise (religieuse et spirituelle) et médinoise (sociale, politique et juridique). Tous les versets du "voile" ont été révélés à Médine. J'avais également identifié la traduction française du Coran largement admise.

Plongeons à présent au coeur (fragile) de la théologie islamiste avec l'un des deux versets de référence si cher aux fanatiques de la libido.

Les "grands voiles" du verset 59 de la sourate 33 Al-Ahzab (Les coalisés)

Ô Prophète ! Dis à tes épouses, à tes filles, et aux femmes des croyants, de ramener sur elles leurs grands voiles (min jalâbîbihinna) : elles en seront plus vite reconnues et éviteront d’être offensées. Allah est Pardonneur et Miséricordieux.

Cette traduction fait consensus pour la plupart des intégristes. Ils s'appuient sur ce verset pour justifier le jilbâb, le niqab ou la burqa. En effet, c'est ce que nous pourrions comprendre par "ramener sur elles leurs grands voiles". Pourtant, rien n'indique sur quelles parties du corps il devrait être ramené ni de quelle façon. Il peut l'être de haut en bas, donc par-dessus la tête, comme de droite à gauche à hauteur des épaules pour couvrir le buste ou l'ensemble du corps sauf la tête et le cou. Justement, rien n'indique non plus la taille de ce voile, ce qui complique encore la définition des zones à cacher. Le verset emploie toutefois l'adjectif "grand". Mais à partir de quelle taille le voile deviendrait "grand" ? Ces flous permettent aux salafistes d'affirmer que la femme doit être bâchée de la tête aux pieds.

Le plus incroyable n'est pas là. En effet, cette traduction communément admise est erronée. L'adjectif "grand" ne figure pas dans le texte original en arabe. C'est une commodité linguistique pour traduire en français ce qu'on suppose être un long voile. D'ailleurs, pire encore, le texte original ne parle pas de voile non plus. Jalabibjhina n'est pas la traduction de "leurs voiles" mais de "leurs mantes" (vêtement féminin, ample et sans manches, qui se portait par-dessus les autres vêtements) ou "leurs capes". Cela peut aussi désigner un châle ample. Cela se portait à l'extérieur de la maison, comme on porte un gilet, un blouson ou un manteau aujourd'hui.
Le terme Jalabib fait débat depuis plus de mille ans entre théologiens, juristes et exégètes. Les intégristes considèrent que c'est une obligation adressée aux femmes de se voiler. C'est d'ailleurs ce terme qui inspirera au XXe siècle les salafistes. Ils détournèrent le sens original de Jalabib (pluriel de jilbâb) pour créer le jilbâb que nous connaissons (vêtement féminin type "chauve-souris" ou "Belphégor" qui couvre tout le corps sauf le visage). D'autres estiment que le Coran demande aux musulmanes de Médine de mieux ajuster leur mante en en resserrant une partie sur le corps.

Pour y voir plus clair, voici la traduction littérale du verset :
Prophète ! Dis (Qul) à tes épouses, à tes filles, et aux femmes des croyants, de rapprocher (yudnîna), sur elles-mêmes ('alayhinna), une partie de leurs mantes (min jalâbîbihinna). C'est plus convenable pour elles afin qu'elles soient reconnues et qu'elles ne soient pas offensées. Et sachez qu'Allah est Pardonneur et Miséricordieux.

Cette fois, nous y lisons plus la demande de porter correctement sa mante qu'une injonction à porter un vêtement particulier qui dissimulerait la tête, les cheveux, le visage ou tout le corps de la tête aux pieds.

Mohamed Talbi (1921-2017) était professeur émérite en Histoire à l'université de Tunis. Héritier de l'islam des Lumières, il se consacra durant plusieurs décennies à l'étude du Coran et de la charia. Il est une des figures de ce que l'on nomme "les nouveaux penseurs de l’islam". Voici son explication à propos de ce verset qui résume bien la position des musulmans rationalistes : On aura d'abord remarqué qu'Allah n'emploie pas le terme "couvrir", qui se dit en arabe satara, ou akhfâ, ou ghattâ. Il emploie le verbe adnâ, qui signifie "rapprocher". Et ce verbe est employé avec la particule min, qui a le sens de "une partie de". Allah ne demande pas aux musulmanes de se couvrir de pied en cap. Il leur est seulement demandé de rapprocher leurs jalâbîb (capes ou mantes), non en totalité, mais une partie uniquement, sans indication dans quelle proportion - le choix leur est laissé - sur elles-mêmes, sans indication sur quelle partie du corps. Le choix leur est laissé également. Faire des jalâbîb, des vêtements de dessus que l'on jette sur les épaules, et dont il est seulement recommandé de rapprocher les pans sur soi en sortant, un voile qui transforme les femmes en corbeaux, c'est franchement solliciter le sens du Coran jusqu'à la falsification (1).

Si la définition de jalâbîb fait débat depuis toujours, tout le monde s'accorde à dire que c'était un vêtement qui se portait par-dessus d'autres. Cela amène deux constats qui rejoignent ceux de Mohamed Talbi. Tout d'abord, personne ne sait quelles étaient la forme et la longueur d'un jilbâb, ni la surface corporelle qu'il couvrait. Il n'existe aucune source historique, iconographique ou archéologique qui permettrait de le savoir. Tous les discours et écrits islamistes qui le décrivent ne sont que des suppositions tirées de leur imagination d'obsédés sexuels qu'ils transforment en certitude.

De plus, en observant la traduction littérale, et non celle choisie par les intégristes, nous constatons que le jilbâb ne pouvait pas être d'un seul tenant. De par sa définition, et pour en "rapprocher" une partie sur soi, ce vêtement était ouvert sur l'avant.

Faire des jalâbîb (...) un voile qui transforme les femmes en corbeaux, c'est franchement solliciter le sens du Coran jusqu'à la falsification.
Mohamed Talbi

De cette falsification, la Charia est responsable, parce qu'elle a été faite par des conservateurs qui avaient hérité du pré-lslam l'hostilité à la femme (…). Les femmes étaient seulement bonnes pour la jouissance derrière des portes bien closes, ou pour en tirer profit par la prostitution (2). La prostitution était effectivement une activité courante dans les villes situées sur les routes commerciales. La Mecque et Médine étaient de celles-là.

Ce dernier élément nous amène à l'autre passage important du verset, le seul passage du Coran qui énonce la raison d'être du "voile" : que les musulmanes "soient reconnues et qu'elles ne soient pas offensées".

Ainsi, le but n'est pas le port d'un vêtement particulier. Le "voile" aurait été le moyen (non un but en soi) de reconnaître les femmes musulmanes, censées être plus vertueuses que les autres, et de les protéger de toute agression ou offense qui auraient pour origine la confusion avec des prostituées (non musulmanes à l'époque). C'est un héritage culturel qui remonte à l'antiquité. Là est la source de l'extrapolation hors contexte de ce verset : les femmes voilées seraient vertueuses, les autres des "putes" ou, au mieux, "impudiques".

Le Coran imposerait-il une tenue vestimentaire aux femmes pour rendre ces potentielles victimes coupables des offenses à leur encontre ? Imposerait-il un vêtement aux femmes pour dispenser les hommes d'avoir un bon comportement s'ils voient une mèche de cheveux ou un avant-bras féminin ? La réponse est non. L'islam n'excuse pas, et autorise encore moins, les hommes à offenser les femmes non couvertes. L'islamisme, si.

Le "voile" aurait été le moyen (non un but en soi) de reconnaître les femmes musulmanes, censées être plus vertueuses que les autres, et de les protéger de toute agression ou offense.

Le verset 60 de la sourate 33 indique de qui devaient se protéger les musulmanes

Ce verset ne précise pas qui sont les offenseurs. Ce qui permet aux intégristes d'en déduire que cela concerne tous les hommes et en tout temps. La contextualisation, qu'ils refusent, permet de le savoir. Le verset 60, qui suit celui sur le "grand voile", est rarement mentionné par les intégristes (au mieux, ils l'évoquent rapidement) : Certes, si les hypocrites, ceux qui ont la maladie au cœur, et les alarmistes [semeurs de troubles] à Médine ne cessent pas, Nous te dresserons contre eux, et alors, ils n’y resteront que peu de temps en ton voisinage (Sourate 33 verset 60).

Voilà contre qui les musulmanes devaient se protéger de l'offense : une partie des hommes de Médine. Les coalisés (titre de la sourate) est le nom donné à l'alliance de plusieurs tribus coalisées contre les musulmans exilés à Médine. Selon la tradition musulmane, la bataille dite "de la tranchée" eut lieu entre mars et avril 627. Durant cette période, les hommes étant au front aux abords de la ville, les musulmanes étaient souvent laissées seules. Ce fut une aubaine pour certains médinois qui en profitèrent pour importuner les femmes et filles des musulmans. Ils prétextaient les confondre avec d'autres femmes aux mœurs plus légères. Pour les distinguer et qu'elles ne soient plus importunées, Dieu aurait demandé au Prophète de leur dire d'être plus vigilantes en resserrant une partie de leur mante ou de leur ample châle sur elles-mêmes.

Un hadith apporte une explication loufoque et souvent privilégiée par les salafistes :
Parmi les pervers de Médine, il y avait des hommes qui sortaient la nuit une fois l’obscurité enveloppant la ville, pour se montrer devant les habitantes de Médine. Comme les sentes de cette ville sont étroites, les femmes de Médine sortaient pour satisfaire leurs besoins, et étaient contraintes à le faire dans des lieux proches. Ces pervers les guettaient, et quand ils apercevaient des femmes qui portaient des jilbâbs, ils savaient qu’elles sont des femmes libres de condition et les laissaient. Quant à l’esclave qui ne portait pas le jilbâb, ils l’attaquaient (3).

Si les salafistes prétendent être totalement fidèles à (leur interprétation de) l'islam, cela signifie que, lorsque nous croisons des femmes en jilbâb dans la rue (les femmes non voilées seraient "non libres de condition"), nous savons où elles se rendent : aux toilettes…

L'importance de la contextualisation et de l'esprit du texte coranique

Ce verset, comme tous les autres, doit être contextualisé pour en comprendre à la fois la lettre, le sens et l'esprit. C'est par cela que se révèle la signification du verset 59 dont le but est la protection des musulmanes de Médine face à l'attitude de certains hommes de cette ville. Cela n'a jamais été une prescription vestimentaire, et encore moins une injonction religieuse pour l'éternité et en tout lieu qui ferait des femmes des objets sexuels à dissimuler.

En optant pour l'esprit du texte et non sa lettre (de plus, falsifiée par les islamistes), on réalise que les offenseurs d'aujourd'hui sont les intégristes. En déclarant que le voile est obligatoire pour les musulmanes qui "se respectent" car elles seraient naturellement des objets sexuels qu'il faudrait bâcher pour ne pas exciter les hommes, il n'y a pas pire offense pour un Être humain. Cette chosification des femmes au point d'en faire des morceaux de viande trop appétissants qu'il faudrait emballer pour ne pas attirer les carnivores, ulcère les féministes universalistes, dont des musulmanes, et la majeure partie de notre société. Au-delà de toute revendication religieuse qui va à l'encontre de notre culture contemporaine, c'est aussi l'égalité des sexes qui pousse notre pays à limiter la manifestation du voile. Certes, les femmes voilées sont "reconnues", c'est le moins qu'on puisse dire. Mais leur radicalité et leur intransigeance, sous l'influence des prédicateurs, ont pour conséquence un accès limité à l'émancipation, à l'emploi et à certaines activités. L'avancée de la conception intégriste de l'islam, dont le voile est l'élément visible, contribue également à exciter l'extrême droite traditionnelle. Elle y a trouvé le meilleur angle pour développer son discours raciste et xénophobe en racialisant et en essentialisant tous les musulmans. A cause des islamistes, les offenses envers les musulmanes voilées sont plus importantes que pour d'autres. L'idée n'est pas de leur demander de renier leurs convictions "religieuses" en ôtant leur voile. Au contraire, si elles désirent réellement appliquer le message coranique, et non la lettre du texte déformée par les islamistes, elles se dévoileraient pour ne plus être offensées par l'extrême droite musulmane (les islamistes), par l'extrême droite traditionnelle, ni de ressentir un sentiment d'offense de la part de la société qui refuse leur conception sexiste des relations femmes-hommes. L'islam ne se vit pas sur la tête par fétichisme d'un vêtement idolâtre. Il se vit dans l'esprit et dans le cœur. Choisir d'être offensée en se voilant, et s'opposer ainsi au texte coranique, n'est pas de la piété. C'est juste du masochisme et un blasphème.

En optant pour l'esprit du texte et non sa lettre (de plus, falsifiée par les islamistes), on réalise que les offenseurs d'aujourd'hui sont les intégristes.

Concernant "l'offense", les musulmans rationalistes ne disent pas autre chose. Soheib Bencheikh est l'ancien mufti de Marseille, ex président du Conseil de réflexion et d'action islamiques et ancien dirigeant de l’Institut supérieur des sciences islamiques à Marseille. Il déclare que le voile n'est pas un signe religieux (…). C'est en s'instruisant que la femme peut se défendre contre toute atteinte à sa féminité et à sa dignité. Aujourd'hui, le voile de la musulmane en France, c'est l'école laïque, gratuite et obligatoire (4). L'éducation est donc la meilleure arme, la meilleure protection contre l'offense et le meilleur moyen d'émancipation des femmes. La laïcité en est la garantie fondamentale. Le voile en est un frein.

La vague recommandation du verset 59 de la sourate 33, surtout concernant les zones du corps à couvrir, peut suffire à nombre de salafistes plus enclins à dresser leur verge qu'à élever leur esprit, pour justifier le bâchage des femmes. Mais elle ne peut suffire à convaincre tous les musulmans de "l'obligation du voile". Pour cela, le discours s'appuie sur un deuxième verset qui aurait été révélé peu de temps après le premier, pour le compléter. Rendrait-il les islamistes plus crédibles que celui étudié plus haut ? Quel verset affirmerait que le hijâb serait un vêtement religieux ? Ce seront les sujets que j'aborderai dans la troisième partie.

L'obligation religieuse du voile créée par les intégristes : une hérésie sexiste combattue par les musulmans rationalistes, Coran à l'appui (1ère partie)

L'obligation religieuse du voile créée par les intégristes : une hérésie sexiste combattue par les musulmans rationalistes, Coran à l'appui (3ème partie)

L'obligation religieuse du voile créée par les intégristes : une hérésie sexiste combattue par les musulmans rationalistes, Coran à l'appui (4ème partie)

(1) Mohamed Talbi, L'Islam n'est pas Voilé, il est Culte: Rénovation de la Pensée Musulmane, Editions Cartaginoiseries, Tunis, 2009, p. 36.
(2) Ibid.
(3) Exégèse du Coran de Ibn Kathir qui rapporte un hadith de As-Souddy.
(4) Soheib Bencheikh, Marianne et le Prophète, Grasset, Paris, 1998, p. 143 et 145.

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