Les vagues recommandations du verset 59 de la sourate 33, surtout concernant les zones du corps à couvrir, peuvent suffire à nombre de salafistes pour justifier le bâchage des femmes. Mais elles ne peuvent suffire à convaincre tous les musulmans de "l'obligation du voile". Pour cela, le discours s'appuie sur un deuxième verset qui aurait été révélé peu de temps après le premier, pour le compléter. Il s'agit du verset 31 de la sourate 24 An-Nûr (La Lumière). Je le retranscris depuis la même traduction du Coran que précédemment. J'y joins également celui qui le devance, pour avoir connaissance de l'ensemble du message :
Dis aux croyants de baisser leurs regards et de garder leur chasteté. C’est plus pur pour eux. Allah est, certes, Parfaitement Connaisseur de ce qu’ils font. (s24, v30)
Et dis aux croyantes de baisser leurs regards, de garder leur chasteté, et de ne montrer de leurs atours que ce qui en paraît et qu’elles rabattent leur voile sur leurs poitrines ; et qu’elles ne montrent leurs atours qu’à leurs maris, ou à leurs pères, ou aux pères de leurs maris, ou à leurs fils, ou aux fils de leurs maris, ou à leurs frères, ou aux fils de leurs frères, ou aux fils de leurs sœurs, ou aux femmes musulmanes, ou aux esclaves qu’elles possèdent, ou aux domestiques mâles impuissants, ou aux garçons impubères qui ignorent tout des parties cachées des femmes. Et qu’elles ne frappent pas avec leurs pieds de façon que l’on sache ce qu’elles cachent de leurs parures. Et repentez-vous tous devant Allah, ô croyants, afin que vous récoltiez le succès. (s24, v31)
Cette traduction, qu'ils valident pourtant, montre là encore l'extrapolation des islamistes. Il n'est nulle part question de voiler les cheveux et encore moins de cacher tout le corps. La seule partie anatomique clairement mentionnée est la poitrine. Tout comme l'autre verset, rien n'indique le sens du mouvement pour "rabattre" le voile sur la poitrine. C'est bien "sur", et non "jusqu'à", qui est indiqué. La nuance est fondamentale. Un châle sur les épaules peut être rabattu par un geste latéral sans que cela ne concerne de près ou de loin la tête. Mais les islamistes s'engouffrent une nouvelle fois dans les termes flous pour développer leurs théories qu'ils transforment en certitude. En effet, qu'entend-on par "atours" ? Quel est ce "voile" ? Quelles sont "les parties cachées des femmes" que les enfants peuvent regarder en raison de leur ignorance ? Les fesses, le pubis, les coudes, le nez, les cheveux, un orteil ?
Il est nécessaire en premier lieu de s'éloigner de cette traduction légèrement différente du texte original. Voici la traduction littérale :
Dis aux croyants de baisser leurs regards (Yaghuđđū Min 'Abşārihim) [dans le sens de ne pas regarder avec insistance] et de préserver leur sexe intact [de tout rapport sexuel hors mariage]. C’est plus pur pour eux. Allah est, certes, Parfaitement Connaisseur de ce qu’ils font. (s24, v30)
Dis aussi aux croyantes de baisser leurs regards (Yaghđuđna Min 'Abşārihinna) [dans le sens de ne pas regarder avec insistance], et de préserver leur sexe intact [de tout rapport sexuel hors mariage], et de n'exhiber de leur parure (zinâtouhouna) que ce qui en paraît (illâ mâ zhahara minhâ), et de rabattre (līađribna) leurs étoffes (bi-khumûrihinna) sur leurs décolletés ('alâ juyûbihinna), de n'exhiber leur parure que devant leurs époux ; ou leurs pères ; ou les pères de leurs époux ; ou leurs fils ; ou les fils de leurs époux ; ou leurs frères ; ou les fils de leurs frères ; ou les fils de leurs sœurs ; ou leurs femmes (nisâ'ihinna) ; ou leurs esclaves ; ou les domestiques mâles impuissants ; ou les enfants qui n'ont pas encore découvert l'intimité des femmes ('awrat al-nisâ'). Qu'elles ne frappent pas de leurs pieds pour que l'on sache ce qu'elles cachent de leur parure.
Et repentez-vous devant Allah tous ensemble - ô croyants – puissiez-vous récolter le succès.
Les termes arabes utilisés pour "baisser leur regard", indiqués pour hommes et femmes, ont un sens légèrement différent qu'en français. Min, qui précède "leur regard", veut littéralement dire "une partie", dans le sens de "intensité" pour ce cas. Plus simplement, Dieu demande de ne pas regarder avec insistance (le regard en lui-même n'a pas été déconseillé et encore moins interdit). Les salafistes, toujours prompts à aller plus loin que ce que le Coran préconise, quitte à le trahir, ont décrété que le regard en lui-même doit être totalement prohibé.
Le Coran recommande également la chasteté sexuelle hors mariage pour femmes ET hommes. De nos jours, le verset 30 qui concerne les hommes a disparu comme par magie quand il s'agit de faire porter le poids de la réputation familiale uniquement sur les épaules des femmes et de leur entrecuisse. Le "voile" est devenu l'AOC de la "femme bien" (le "bien" se résumant à la "préservation" de son vagin).
Dans le verset 59 de la sourate 33 étudié précédemment, le terme "leurs voiles", qui figure dans la version française largement diffusée, était la traduction de jalâbîb. Toujours selon cette version française du Coran, "leur voile" est cette fois la traduction de khumûrihinna. Au-delà de l'erreur sur la forme (khumûrihinna est le pluriel de khimârûha. La traduction aurait dû être "leurs voiles"), cette traduction utilise un seul et même terme quand l'arabe en utilise deux différents, dont aucun ne signifie "voile".
Voici l'explication de ce passage par Mohamed Talbi : Yadhribna : il s'agit du verbe arabe dharaba, qui n'a pas le sens de se voiler ou de s'envelopper dans une étoffe quelconque. Il signifie "frapper", avec les sens figurés qui en dérivent, et dont aucun ne laisse penser au voile. (…) Le verbe khamara, d'où dérive khimâr (au pluriel khumur), a le sens générique de cacher quelque chose ou une pensée. Tout ce qui cache quelque chose, y compris une foule ou un bosquet, ou le secret des cœurs, est khimâr. La question que l'on se pose est la suivante : dans l'usage courant de tous les jours, le khimâr avait-il désigné spécifiquement un "foulard", que les femmes portaient, obligatoirement, et toujours sur la tête ? En tant qu'historien, je dis non. (1)
Effectivement, quelle que soit la traduction, la tête ou les cheveux ne sont jamais mentionnés. De plus, 'alâ juyûbihinna a été faussement traduit par "leurs poitrines". En réalité, ce terme désigne l'échancrure du vêtement sur le haut de la poitrine, nommée aujourd'hui "décolleté". Mohammed Talbi revient sur ce passage : Ce qui est certain et incontestable pour tous, c'est que dans le texte et dans tout le Coran, Allah ne dit pas 'alâ ru'ûsihinna (sur leurs têtes), mais 'alâ juyûbihinna. Que signifie cette expression ? 'Alâ juyûbihinna : juyûb est le pluriel de jayb. Le terme, incontestablement, ne désigne jamais physiquement la poitrine humaine, comme certains traduisent, pour plier le Coran à la Charia au prix des plus inacceptables entorses au texte coranique littéral. (…) Au sens générique, le terme désigne, dans un vêtement, un découpage plus ou moins large, au niveau du col, pour laisser passer la tête, et découvre plus ou moins la poitrine. Le terme désigne aujourd'hui le plus souvent une poche. Naturellement, le découpage au niveau du col peut varier à l'infini, disons ou presque, jusqu'au nombril en tout cas, et permet alors au regard de plonger dans les abysses infernaux de perdition, ce que faisaient les prostituées, et ce que le Coran réprouve, ne serait-ce que pour éviter les méprises, qui étaient sûrement fréquentes dans des pays où la prostitution était le métier le plus lucratif (2).
Nous revenons à cette distinction entre les prostituées quasi seins nus qui étaient fort nombreuses à la Mecque et à Médine, et les femmes musulmanes à qui Dieu demande de se différencier en couvrant le haut de leur poitrine.
Le "voile" est devenu l'AOC de la "femme bien" (le "bien" se résumant à la "préservation" de son vagin).
Moreno Al Ajamî, docteur en littérature et langue arabe, théologien et spécialiste de l’exégèse du Coran, a la même analyse que Mohamed Talbi. Il ne définit pas le khimâr comme un vêtement particulier mais par la fonction que le Coran lui confère : tout ce qui peut être utile à cacher le décolleté, définition étymologique correspondant bien à l’objectif textuellement déclaré. Ceci explique que nous ayons rendu le pluriel khumur par "étoffes", ce terme ne présumant pas de la nature du vêtement en question, mais indiquant que la recommandation : "et qu’elles couvrent de leurs étoffes/khumur leurs décolletés/juyûb". (3)
La traduction approximative, voire volontairement fallacieuse, de ces versets n'est pas l'apanage des francophones. Le voile, cheval de Troie de l'intégrisme musulman, s'est développé partout dans le monde. Les traductions anglaises du Coran, tout comme les françaises, sont le support de base du prosélytisme islamiste à l'extérieur des pays musulmans. Les intégristes ont besoin d'en avoir le monopole. Tout comme en France, ils ont inondé le monde avec leurs propres traductions dans plusieurs langues, disqualifiant ainsi celles qui seraient trop proches du texte original et/ou qui auraient des annotations trop "libérales" à leur goût. Et ça marche. Les traductions anglaises les plus accessibles sur internet sont celles validées par les salafistes et les Frères Musulmans.
Si une traduction est fidèle à la version originale, une autre, privilégiée par les intégristes, viendra la contredire. Prenons un passage du verset 59 de la sourate 33 étudié dans la deuxième partie de cet article (...de rapprocher, sur elles-mêmes, une partie de leurs mantes...). Une traduction dit ceci : to bring down over themselves [part] of their outer garments (faire tomber sur elles [une partie] de leurs vêtements d'extérieurs) (4). Le verbe choisi est trop éloigné du sens original ("rapprocher"). Mais le reste traduit parfaitement l'esprit du texte en s'attachant à coller au maximum au sens originel.
Voici une autre traduction : to draw their cloaks (veils) all over their bodies (i.e.screen themselves completely except the eyes or one eye to see the way) (5). En français, cela donne : de rabattre leurs mantes (voiles) sur tout leur corps (tout occulter sauf les yeux ou un œil pour voir le chemin). Cette version rajoute "sur tout leur corps" qui n'est pas dans la version arabe. Puis, pour en rajouter une louche supplémentaire et encore mieux orienter le lecteur, elle donne l'illusion d'apporter des précisions entre parenthèses qui ne sont rien d'autres que des extrapolations, voire des contre-sens (une mante n'est pas un voile), dans la ligne misogyne typique des salafistes. Nous retrouvons la même méthode pour le verset étudié ici. Voilà comment le voile est "coraniquement" validé à travers le monde.
Poursuivons l'analyse du verset 31 de la sourate 24. La "parure qui en paraît" (ou "atours" selon les traductions) désigne tout ce qui embellit les femmes comme les bijoux ou le maquillage. Ainsi, rien n'indique que les parures sur le visage ou les cheveux devaient être cachées. Concernant la parure des pieds (Qu'elles ne frappent pas de leurs pieds pour que l'on sache ce qu'elles cachent de leur parure), nous constatons une nouvelle fois que cela concernait les femmes de l'époque et de cette région. Certaines d'entre elles, dont sans doute des prostituées, portaient par coquetterie des bracelets aux chevilles qui tintaient lorsqu'elles marchaient. Ce passage n'échappe évidemment pas aux délires obsessionnels des islamistes. En l'extrapolant comme à leur habitude, ils ont décrété que les talons hauts d'aujourd'hui (comme les talons aiguilles) seraient péchés à cause des bruits engendrés sur le sol.
Le verset désigne également une autre catégorie de parure. Elle pourrait séduire les hommes bien plus que la première. Considérée comme étant l'intimité des femmes ('awrat al-nisâ'), elle doit être cachée. En résumé, une partie des parures peut être visible par tous. L'autre partie, relevant de l'intimité, ne peut l'être que par un nombre restreint de personnes listées dans le verset. Tout le problème réside en la délimitation de ce qu'est "l'intimité" ('awra). Étymologiquement, 'awra signifie la "nudité". Mais avec le temps, des exégètes ont étendu cette définition en lui attribuant un sens subjectif : il s'agit des parties du corps dont la vue est susceptible d'éveiller les passions et les appétits charnels de la personne qui regarde et, en dernière analyse, de la mener à commettre le crime de fornication (6).
Pour les plus extrémistes, la 'awra des femmes musulmanes est devenue leur corps entier, du sommet de leur crâne au bout de leurs orteils, et y ajoutent même parfois leur voix. La 'awra se définit donc lorsqu'elle est envisagée du côté du ou de la regardé(e) et de manière relative lorsqu'elle est considérée du point de vue du ou de la regardant(e) (7). La "pudeur", qui ne concernait que l'attitude et les parties sexuelles pour hommes et femmes, s'est étendue au fil des évolutions de la charia aux cheveux et à l'intégralité du corps (et uniquement pour les femmes).
En résumé, la 'awra est subjective et ce passage du Coran, encore une fois, ne concernait qu'un territoire, un mode de vie clanique, familial, et des circonstances précises. Avec le temps, elle est devenue prétexte à l'oppression des femmes pour canaliser la libido des hommes. Cette offense faite aux femmes par ces intégristes va à l'encontre du verset 59 de la sourate 33.
Il existe une incertitude concernant l'ordre de révélation des sourates 24 et 33 (la numérotation des sourates n'est pas chronologique). On ignore si la sourate 24 a été révélée juste avant ou juste après la bataille de la Tranchée. La logique voudrait que la sourate 33 fût révélée en premier. Le verset 31 de la sourate 24 complèterait ainsi la recommandation du "voile" de la sourate 33. Si c'est la sourate 24 qui fût révélée la première, cela complique encore plus les tentatives de justifications des obsédés du voile qui ne pourraient expliquer cet ordre de la Révélation.
A une époque et culture patriarcales d'une communauté réfugiée à Médine, le Coran recommanda aux hommes et aux femmes, à égalité, de ne pas se regarder avec insistance (le regard en lui-même n'a pas été déconseillé et encore moins interdit). Cela était considéré comme un risque de séduction et sources possibles de tension entre la communauté musulmane et les Médinois non convertis. Mais, patriarcat du VIIe siècle oblige, c'est aux femmes que Dieu demanda d'ajuster leurs tenues (non de se couvrir la tête ou tout le corps avec un voile) à une période particulière et tendue. Ce fut le seul moyen possible aux yeux des contemporains pour atteindre un objectif : empêcher toute offense envers les femmes musulmanes de la part de certains Médinois. Un vêtement particulier, voile ou autre, n'a jamais été un objectif en soi. De plus, c'était bel et bien une recommandation, non une obligation. Sur ce sujet au moins, le Coran est clair. Dans les deux versets qui concernent le "voile", où Dieu s'adresse à Mohammed pour transmettre son message aux croyants, il est écrit "Dis" (Qul), pas "Allah ordonne" (Ina Allaha ya'muru) comme c'est le cas dans d'autres versets. Loin d'être un détail, cette subtilité est fondamentale pour réaliser que le "voile" n'était pas une obsession ni une contrainte indépassable pour Dieu. Les mots "obligation" ou "interdit" ne figurent dans aucun de ces versets. Enfin, aucune sanction n'est prévue en cas de mauvais ajustement de son châle, de sa mante ou de son étoffe, contrairement à l'adultère ou au vol par exemple. D'ailleurs pour cela, il aurait fallu définir précisément les zones à cacher pour éviter d'injustes condamnations subjectives. Cette imprécision démontre encore, s'il en était besoin, que cette question était secondaire au premier temps de l'islam.
Qu'en est-il du hijâb ? Aurions-nous là, enfin, la réponse ultime, la preuve irréfutable, que le bâchage des femmes serait une obligation religieuse ? Ce voile est l'arme politique et sexiste des Frères Musulmans. Ils affirment qu'il est conforme au Coran. Si les deux versets étudiés précédemment n'évoquent aucun voile, "hijâb" serait écrit quelque part ailleurs ? Oui. Ce terme est même cité plusieurs fois dans le Coran. Le problème est que, là encore, à aucun moment il ne sert à désigner un voile avec lequel une seule partie des croyants devrait se couvrir la tête en raison de son sexe.
Un seul des versets mentionnant ce terme sert de référence aux islamistes :
Ô vous qui croyez ! N’entrez pas dans les demeures du Prophète, à moins qu’invitation ne vous soit faite à un repas, sans être là à attendre sa cuisson. Mais lorsqu’on vous appelle, alors, entrez. Puis, quand vous aurez mangé, dispersez-vous, sans chercher à vous rendre familiers pour causer. Cela faisait de la peine au Prophète, mais il se gênait de vous (congédier), alors qu’Allah ne se gêne pas de la vérité. Et si vous leur demandez (à ses femmes) quelque objet, demandez-le leur derrière un rideau (Ĥijābin) : c’est plus pur pour vos cœurs et leurs cœurs ; vous ne devez pas faire de la peine au Messager d’Allah, ni jamais vous marier avec ses épouses après lui ; ce serait, auprès d’Allah, un énorme pêché. (sourate 33 verset 53)
Pour une fois, cette traduction est assez fidèle à la traduction littérale. Ce verset ne concerne pas toutes les musulmanes mais seulement les femmes du Prophète. De plus, il ne leur est pas demandé de se voiler. Il est demandé aux étrangers en visite chez Mohamed de s'adresser à elles derrière un rideau (Ĥijābin). Plus exactement, le terme hijâb a pour racine "hajaba" dont le sens est "se placer entre deux choses". Un hijâb est donc quelque chose qui sert à séparer, à isoler, à mettre hors de la vue, sans toutefois en préciser la nature. Cela pourrait aussi bien être un paravent ou même une porte.
Le terme Ĥijābin ne désignant rien de matériellement précis (juste un objet qui sépare), les islamistes s'engouffrent encore dans ce flou pour innover, comme pour les versets étudiés précédemment. Ils instrumentalisent ce terme abstrait pour créer un vêtement concret. Le hijâb que nous connaissons aujourd'hui a été créé par les islamistes au début du XXe siècle (diverses formes de voiles existaient déjà auparavant dans diverses régions du monde, fruits du patriarcat culturel). Lui donner ce nom permet tout d'abord de créer une filiation avec le Coran afin de lui attribuer une légitimité religieuse. Symboliquement, sa matérialisation a également pour ambition de concrétiser le verset, tout en ignorant volontairement qu'il s'adresse uniquement aux épouses du Prophète : séparer les femmes de la vue des hommes par l'occultation des premières. Ainsi, "se mettre entre deux choses", traduit par "rideau", dans la maison du Prophète se téléporte sur la tête de toutes les musulmanes à l'extérieur de leur maison et pour l'éternité. En effet, pour rendre cette séparation mobile (il serait compliqué de se balader dans la rue avec un paravent, un rideau ou une porte), les islamistes ont décrété que le rideau qui pendait au mur de la demeure de Mohamed doit être décroché pour être posé sur le crâne de toutes les musulmanes de la planète. Enfin, le hijâb est censé donner l'illusion à leurs porteuses qu'elles seraient aussi "vertueuses" que les femmes du Prophète. Et ça marche...
La femme est passée du statut d'Être humain à un objet sexuel convoité qu'il faudrait bâcher et séparer des hommes autant que faire se peut.
Au cours des siècles qui suivirent la Révélation, cette recommandation de mieux ajuster ses vêtements d'extérieurs, pour ne pas être confondues avec des prostituées et se protéger de l'attitude de certains Médinois, se transforma en obligation du voilement en tout lieu et en tout temps. La femme est passée du statut d'Être humain à un objet sexuel convoité qu'il faudrait bâcher et séparer des hommes autant que faire se peut. Voilà ce qui est défendu aujourd'hui avec le sourire et des voiles fashion par le "féminisme islamique" dont l'association Lallab est la représentante française.
Si le Coran ne définit aucune zone précise du corps, les "savants" se sont chargés de le faire. S'il ne prévoit aucune sanction, les "savants" promirent, au cours des siècles suivants et jusqu'à aujourd'hui, tous les tourments de l'enfer aux femmes qui refuseraient de se voiler. C'est toute la magie de certaines écoles juridiques et de la charia. Cette obligation ne devint "religieuse" qu'au XXe siècle, pour protéger cette obligation apocryphe face aux sociétés laïques. Le succès de cette invention est tel qu'il a supplanté le contenu réel du Coran : le voile est aujourd'hui perçu comme un signe religieux. Les "idiots utiles" soutiennent ainsi les islamistes au nom du respect de la pratique religieuse (la lutte contre le sexisme n'est pas leur priorité) et les adversaires des islamistes vont pour la plupart d'entre eux sur le terrain de la laïcité.
Et quant aux femmes atteintes par la ménopause qui n’espèrent plus le mariage, nul reproche à elles d’enlever leurs vêtements [de sortie] (thiyabahouna), sans cependant exhiber leurs atours et si elles cherchent la chasteté c’est mieux pour elles. Allah est Audient et Omniscient (Sourate 24 verset 60).
Évidemment, certaines traductions trouvent le moyen de remplacer "leurs vêtements [de sortie]" (thiyabahouna) par "leurs voiles". Les islamistes précisent que si la femme ménopausée est encore belle, et qu'elle peut donc encore créer la fitna (le désordre, la division), alors elle doit continuer à porter le "voile".
Au-delà de la subjectivité pour déterminer la beauté d'une femme, cela démontre une nouvelle fois qu'il n'y a aucune spiritualité dans le voilement. A moins de considérer que, comme les hommes, elles n'ont pas besoin d'être aussi proches de Dieu que les femmes plus jeunes (et plus jolies). En effet, pour de nombreux musulman(e)s, le port du voile serait la manifestation extérieure de l'atteinte d'un certain degré de spiritualité. Une femme voilée serait ainsi plus proche de Dieu. Or, comme constaté tout au long de cet article, à aucun moment l'argument spirituel n'est avancé dans le Coran. Même les ouvrages des radicaux ne le mentionnent jamais. Pour eux, le voile est un outil de ségrégation et de séparation des sexes pour protéger les hommes de la tentation, rien d'autre. L'argument de la spiritualité n'est apparu que récemment. Cette idée vint de militantes islamistes qui, partisanes de la servitude volontaire, cherchaient un moyen de "convertir" les musulmanes au voilement. Elles ne cessent de clamer qu'elles sont plus proches de Dieu depuis qu'elles se sont voilées. Totalement déconnecté de l'islam, cet argument fait mouche auprès de nombreuses musulmanes culpabilisées.
Ma démonstration de l'invention contemporaine du hijâb, une création bien éloignée du contenu du Coran, n'a pas pour but d'interdire aujourd'hui le voile dans l'absolu. Si des musulmanes sont convaincues que la parole des islamistes est plus crédible, si elles refusent même, pour beaucoup, de comparer les différentes analyses des textes coraniques car elles préfèrent rester fidèles à la Charia (organisation religieuse de la société ou d'une communauté construite par des hommes qui ont codifié le patriarcat, l'assujettissement, la sexualisation et la diabolisation du corps féminin), si elles désirent baigner dans l'obscurantisme et opter pour la servitude volontaire, elles en ont le droit.
Seulement, il faudrait préciser que leur "choix" n'est pas dicté par le Coran mais par leur interprétation (ou du moins l'interprétation de leurs "savants"), tout comme les musulmans rationalistes ont leur interprétation de leurs textes sacrés. Amener un équilibre dans la diffusion de ces différentes interprétations, ajouté à la diffusion des idées laïques et universalistes, sont le seul moyen de parvenir à un véritable libre choix éclairé des musulmanes qui n'ont pas encore basculé. Finalement, le voile le plus important n'est pas posé sur leur tête. Il est posé sur leur esprit critique dont le voilement physique est aussi le symbole.
Ainsi, l'affirmation de la religiosité et de la spiritualité du voile tente de masquer leur obsession. Les islamistes sont hantés par la sexualité. De leur adolescence jusqu'à leur mort, ils ne pensent qu'à ça du matin au soir. Hommes et femmes sont concernés. Même si, patriarcat oblige, seuls les hommes le manifestent. Ils se partagent en deux groupes. Il y a celles et ceux qui veulent satisfaire leurs frustrations dans une société ou un milieu remplis de tabous et d'interdits. En face, il y a celles et ceux qui sont obsédés par le risque de tentation dont il faut se protéger, et inquiets par les assauts potentiels des membres du premier groupe. Le voile est censé être leur outil de dissuasion massive. Chacun(e) peut passer d'une catégorie à l'autre selon les moments, y compris des femmes voilées (le voile rend les déplacements plus faciles car moins suspects). Voilà leur "spiritualité".
Cette surprenante gestion archaïque des rapports entre femmes et hommes est actuellement en plein essor. Pourtant, nombreux et nombreuses sont les musulman(e)s rationalistes qui expriment une vision différente et plus respectueuse des femmes. Pour eux, au-delà de l'aberration théologique, le voile est une régression humaine. Mais, étouffés par les islamistes et les "idiots utiles" qui les soutiennent, ils ont du mal à se faire entendre. C'est ce que j'aborderai dans la dernière partie de cet article.
(1) Mohammed Talbi, L'Islam n'est pas Voilé, il est Culte: Rénovation de la Pensée Musulmane, Editions Cartaginoiseries, Tunis, 2009, p. 38-39.
(2) Ibid, p. 39.
(3) Le voile selon le Coran et en Islam, texte publié sur le site internet du théologien Moreno Al Ajami
(4) The Qur'ân, English Meanings, English Revised and Edited by Saheeh International, 33:59
(5) Muhammad Muhsin Khan (Translator), Muhammad Taqi-ud-Din Al-Hilali (Translator), The Noble Quran has been translated into the modern English Language, 33:59.
(6) Mohammed Ali Amir-Moezzi (dir.), Dictionnaire du Coran, Robert Laffont, Paris, 2007, p. 924-925.
(7) Ibid, p. 925.