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Naëm Bestandji

Féminisme / Universalisme / Laïcité

dossiers - Voile - Rokhaya Diallo, voile, mini jupe, talons aiguilles

Le voile, un "marqueur de féminité" comme la mini-jupe ou les talons aiguilles ?

Par Naëm Bestandji . Publié le 12 Décembre 2017 à 10h45

Rokhaya Diallo se définit comme féministe tout en s'affirmant, par ses prises de position, comme partisane du sexisme. Elle fait partie de ce que certains appellent l'islamogauchisme. Pour ma part, je préfère le terme d'islamistogauchisme car sa complaisance est moins envers l'islam qu'envers sa dérive islamiste.

Elle l'a une nouvelle fois démontré dans un entretien vidéo (1) où elle répond à un passage de mon article ("Blanchité", "racisé", "racisme d'Etat" : ces concepts qui légitiment le néoracisme) publié dans le Figaro Vox (2). A mon affirmation sur le racisme et le sexisme du voile, elle apporte la réponse habituelle des féministes relativistes promouvant le sexisme : Je ne vois pas en quoi le fait de marquer la féminité par un voile c'est plus sexiste que de le marquer par des talons aiguilles ou par une mini-jupe. (…) Il n'y a pas de raisons d'isoler le voile du reste des attributs qu'on associe à la féminité.

Seules les féministes telles que Rokhaya Diallo font du voile un marqueur de féminité. Celles qui le portent n'avancent pas cet argument mais celui de la religion. Les intégristes qui le prescrivent avancent celui de la "pudeur" et du refus de s'habiller comme les "Occidentales". Quant aux féministes universalistes et aux musulmanes qui refusent de se voiler, elles l'associent à un système d'oppression dont le religieux sert de prétexte.

Cette comparaison voile/mini-jupe n'est pas sortie de son esprit. Elle relève d'un argumentaire construit par les islamistes. Le but est à la fois de faire du voile un vêtement comme un autre, tout en instillant l'idée de la "pudeur" de l'un face à "l'impudeur" de l'autre : "si une femme peut se dénuder, pourquoi ne pourrait-elle pas se couvrir ?" Cette stratégie de banalisation a été assimilée par les pro-islamistes, dont nous avons ici un exemple, qui participent ainsi au projet politique des intégristes dont le voile sert de cheval de Troie.

Mini-jupe et talons aiguilles se portent selon les moments. Le port du voile est permanent.

La mini-jupe et les talons aiguilles sont portés par féminité. Une femme peut porter des talons aiguilles pour sortir entre amis, porter des baskets le lendemain et être pieds nus la semaine suivante sur la plage. Elle peut également porter une mini-jupe un jour et un pantalon plus pratique pour telle activité le lendemain ou pour se protéger du froid l'hiver. Elle peut porter l'un ou l'autre simplement par l'envie du moment. Une autre femme peut ne pas mettre de mini-jupes parce qu'elle ne serait pas à l'aise ou parce que ce n'est pas son style, et ne jamais porter de talons aiguilles pour les mêmes raisons.

En faisant du voile leur équivalent, une femme voilée pourrait porter son hijab ou son niqab le lundi, sortir tête nue le mardi s'il y a canicule, mettre un hijab transparent un autre jour par féminité ou tout simplement ne pas le porter tel jour par manque d'envie. Nous savons que non. Le voile ne doit rien laisser transparaître et doit se porter tout le temps, quelles que soient la météo, la période de l'année ou les circonstances. Tout du moins quand la femme voilée "risque" de croiser un homme… Le voile n'a pas été créé pour marquer la féminité. Il a été créé pour la dissimuler. Mini-jupes et talons aiguilles sont portés par des femmes de toutes cultures et toutes religions. Le voile "islamique" n'est porté que par celles qui adhèrent à la conception extrémiste de l'islam. Il ne viendrait à l'idée d'aucune autre femme de porter le hijab ou le niqab par "féminité".

Le voile n'a pas été créé pour marquer la féminité. Il a été créé pour la dissimuler.

Le voile est un marqueur textile raciste créé pour stigmatiser la moitié de l'Humanité, les femmes, et installer un apartheid sexuel. Il matérialise la soumission à une idéologie patriarcale qui rejette l'autonomie du corps féminin. Ce corps est considéré comme un objet sexuel, impur, devant être contrôlé afin d'éviter tout risque de tentation pour les hommes et dont seule la femme serait responsable. Le voile, créé pour cacher ce corps "honteux", en est le sceau. Pour les islamistes, la valeur d'une femme ne se mesure pas à sa réussite professionnelle ou à ses qualités humaines. En tant qu'objet sexuel, elle se mesure à ce qu'elle fait de son entrecuisse. Le marquage sexiste du voile sert de label.

Valorisation, culpabilisation, religion : le triptyque pour amener au "libre choix" du voile

Pour convaincre, les islamistes utilisent trois méthodes. La valorisation présente le voile comme l'emballage d'un objet précieux. L'objet sexuel devient un bijou, une perle, dont le voile lui servirait d'écrin. La culpabilisation est la deuxième méthode, bien résumée par l'imam salafiste Rachid Abou Houdeyfa : Le hijâb, c’est la pudeur de la femme ! Et sans pudeur, la femme n’a pas d’honneur ! Et si la femme sort sans honneur, qu’elle ne s’étonne pas que (…), des hommes, que ça soit des musulmans ou des non musulmans, abusent de cette femme-là. Et la négligent. Et l’utilisent comme un objet.

Avons-nous déjà observé une marque de vêtements avancer des arguments similaires pour faire la promotion de la mini-jupe ou des talons aiguilles ? C'est pour cela que le voile est classé par les islamistes dans la catégorie "mode pudique" (euphémisme marketing pour ne pas dire "mode sexiste"). Ce qui classerait la mini-jupe, portée par des femmes "sans honneur", dans la catégorie…

La troisième méthode, pour tenter de convaincre les récalcitrantes, est l'argument religieux. Le voile serait prescrit par Dieu. Ne pas lui obéir serait prendre un aller simple pour l'enfer. Avons-nous les mêmes menaces divines en cas de refus de porter les autres "marqueurs de féminité" ?

De plus, aucun pays n'a voté la moindre loi pour rendre obligatoire le port de la mini-jupe et des talons aiguilles dans l'espace public. Il existe nulle part de police de la vertu ou religieuse pour vérifier que chaque femme porte bien uniquement cela. Y-a-t-il une idéologie totalitaire qui imposerait la mini-jupe ou les talons aiguilles sous peine de châtiments corporels ou même de mort, comme pour le voile ? Y-a-t-il eu des attentats au nom de cette même idéologie ? A-t-on égorgé des femmes refusant de porter la mini-jupe comme des femmes ont été égorgées en Algérie parce qu'elles refusaient de se voiler ? La mini-jupe et les talons aiguilles ne sont pas les porte-drapeaux d'une idéologie totalitaire.

Rokhaya Diallo préfère le sexisme islamiste à l'universalité du féminisme

Des féministes dans les pays musulmans hurlent aux Européennes que défendre le voile en Europe contribue à l'oppression des femmes qui résistent encore au voile en terre d'islam. Leur viendrait-il à l'esprit de dire la même chose d'une paire de talons aiguilles ? Latifa Lakhdar par exemple, membre fondatrice de l'Association Tunisienne des Femmes Démocrates, historienne, professeur d’université et chercheur sur la pensée islamique, estime que le voile n’est pas un simple usage, il est la partie visible d’une vision du monde basée sur la coupure en deux de l’universel, les hommes et les femmes. Le voile est le signe de l’enfermement théologique des femmes.

Mais cela n'intéresse pas Rokhaya Diallo. Sa complaisance envers le voile est si forte qu'elle en vient à soutenir le parti islamiste tunisien issu des Frères Musulmans plutôt que les féministes tunisiennes. Pour elle, Ennahda n'est pas islamiste, juste "musulman". Dire le contraire serait "islamophobe"… C'est ce même parti qui, lors de l'élaboration de la future constitution tunisienne, refusait d'y inscrire l'égalité des sexes. Il préférait l'expression "la femme est complémentaire à l'homme" (encore un euphémisme pour ne pas dire "inférieure"). Une "complémentarité" matérialisée par un marqueur sexiste visible : le voile. Selon le raisonnement de Rokhaya Diallo, les Tunisiens qui luttent contre cette vision de l'islam seraient… "islamophobes".

Sa complaisance envers le voile est si forte qu'elle en vient à soutenir le parti islamiste tunisien issu des Frères Musulmans plutôt que les féministes tunisiennes.

L'anathème de "l'islamophobie", terme développé et détourné par les islamistes pour faire du blasphème envers l'islam(isme) une forme de racisme, est efficace pour lutter contre le féminisme. Rokhaya Diallo en est une fervente supportrice. Les féministes qui avancent certains arguments que j'ai abordés dans cet article seraient, selon R. Diallo, racistes... Preuve que son féminisme ne pèse pas grand-chose face à sa tendresse pour l'intégrisme musulman. Il n'y a alors rien d'étonnant à ce qu'elle soit un fervent soutien du CCIF. Son féminisme vibre-t-il de joie lorsque ce collectif expose sa vision identitaire et rétrograde de la femme musulmane ? (3) Ce qui rend cohérent les conférences communes entre le CCIF et nombre de prédicateurs intégristes, ainsi que les soutiens officiels de certains d'entre eux comme Rachid Abou Houdeyfa (notamment présent avec Rokhaya Diallo au "dîner du CCIF" en 2014) ou Hani Ramadan. Ce dernier n'hésite pas à comparer les femmes non voilées à des pièces de "deux euros qui passent d'une poche à l'autre". A vous de saisir la métaphore…

Le voile est prescrit par des intégristes religieux au nom du divin. La mini-jupe et les talons aiguilles sont promus par des marques de vêtements. On peut arguer que la mode est aussi un diktat. Mais il est plus facile de faire évoluer la mode si on la considère sexiste que de faire évoluer un dogme religieux que les intégristes considèrent comme immuable et éternel.

Les intégristes new look peuvent le rendre coloré et fashion, le voile reste le voile, avec tout le poids idéologique et sexiste qu'il incarne. Rokhaya Diallo le considère comme un "marqueur de féminité". Je le définis comme le marqueur vestimentaire le plus raciste et sexiste que l'homme ait inventé. Sa considération résume tout ce qui oppose les féministes universalistes, qui estiment que l'égalité des sexes et la dignité des femmes ne se divisent pas, face aux féministes relativistes pour qui cette même égalité peut être "aménagée" selon la culture et la religion. Le "féminisme sexiste" de Rokhaya Diallo est bien éloigné de Simone de Beauvoir.

(1) Rokhaya Diallo : "J’invite Jean-Michel Blanquer à porter plainte contre moi".
(2) «Blanchité», «racisé», «racisme d'Etat» : ces concepts qui légitiment le néoracisme
(3) La nudité pour un yaourt ou le voile pour la "pudeur" : la femme selon le CCIF

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