Ancienne avocate à la cour d'Alger, l'écrivaine Wassyla Tamzali est une féministe algérienne jusqu'au bout des ongles. Elle a été directrice des droits des femmes, ainsi que du programme pour la promotion de la condition des femmes de la Méditerranée, à l’UNESCO. En 2005, elle intégra le comité d’organisation du 10éme Congrès Mondial des Études féministes. Mais ce n'est pas encore assez pour elle. Elle participe à de nombreux colloques comme celui sur "Le genre", à l’université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou (Algérie) en 2010. Le 8 mars 2012, elle fut à l’initiative, avec 7 autres femmes arabes, de L'appel des femmes arabes pour la dignité et l'égalité. En y ajoutant ses multiples ouvrages, on peut dire qu'elle est hyper motivée. Mais qu'est ce qui la met si en colère ?
Il est vrai que le "féminisme islamique" l'énerve. Elle le dénonce depuis des années car il vise à délégitimer le combat féministe pour limiter l’égalité des sexes et toujours laisser la supériorité aux hommes. Comme elle le dit si bien, ou bien les hommes et les femmes sont égaux ou bien ils ne le sont pas. On ne peut pas l'être qu'un peu. Elle est comme ça Wassila, entière. Mais sur le fond, elle a raison.
Elle dénonce également le modèle de société algérien, basé sur la religion et les traditions. Ce qui a pour conséquence de garder les femmes dans un statut d’éternelles mineures. Malgré leur éducation scolaire (nombre d’entre elles font des études supérieures) et le fait d’avoir un emploi, les algériennes sont toujours privées de la liberté et du respect auxquels les hommes algériens ont droit. Ce modèle est si ancré que même de nombreuses femmes le défendent (virginité au mariage, réputation portée par la fille, limitation de la liberté de circuler, trouver des qualités à se cacher derrière un voile pour se protéger du regard des hommes, certaines activités et droits réservés aux hommes, etc.).
Ayant travaillé aux Nations Unies, elle a pu voir que la condition des femmes dans les pays musulmans, notamment sur la sexualité, est un monde à part. Elle trouve ça très inquiétant.
Pourtant, pour elle, l'islam n'est pas le problème. Car il y a une énorme différence entre l'islam de son enfance en Algérie et l'islam d'aujourd'hui dans ce même pays où elle vit toujours. On impose aujourd'hui la religion dans tous les domaines pour organiser et réguler la société afin de mieux la contrôler. Ce contrôle passe par le contrôle des femmes et donc de leur corps et de leur sexualité. Elles sont ainsi déshumanisées, transformées en simple objet sexuel qu'il faut préserver pour le futur mari et qu'il faut continuer à "protéger" une fois mariée. Cet objet qu'est la femme sert aussi de thermomètre à la réputation de la famille. Le voile en est le symbole et l'instrument principal.
Dans un de ses ouvrages (Une femme en colère, Lettre d’Alger aux Européens désabusés, Gallimard, 2009), Wassyla Tamzali expose entre autres son opinion sur le voile. Elle se base sur ses propres recherches et observations, mais aussi sur les travaux d’autres chercheurs comme Latifa Lakhdar, historienne tunisienne, professeur d’université et chercheur sur la pensée islamique. Latifa Lakhdar estime que le voile n’est pas un simple usage, il est la partie visible d’une vision du monde basée sur la coupure en deux de l’universel, les hommes et les femmes. Le voile est le signe de l’enfermement théologique des femmes. Tout comme elle, Wassyla Tamzali a conscience que cela réduit les femmes à un simple objet sexuel. Ainsi, la bonne réputation d’une femme (être une "femme bien") n’est pas basée sur ses qualités personnelles ou ses compétences. Elle est uniquement basée sur la "pureté" de son vagin et sa capacité à se cacher derrière un voile pour ne pas susciter des pensées lubriques chez les hommes (les hommes sont des animaux incapables de se contrôler. Et les femmes, elles, n'ont jamais d'idées lubriques. Tout ça est bien connu. Vous ne le saviez pas ?). Une "femme bien" doit donc rester en bon état, toute neuve, et bien emballée. En résumé, on applique les mêmes critères aux femmes que lorsqu’on achète un morceau de viande, une télé ou une voiture neuve (en général on préfère les comparer à un bijou ou une perle. Ça passe mieux. C'est censé être plus flatteur, à ce qu'il parait). L’argument de la religion vient valider ce sexisme et ce machisme pour tenter d’empêcher toute remise en cause de cette discrimination et de cette hyper sexualisation du corps des femmes. Comme je l'ai dit plus haut, pour beaucoup de musulmans une bonne musulmane n’est pas un être humain mais un objet qui doit être caché (les cheveux ou tout le corps, selon le zèle) et rester "pure" pour son futur mari. Ainsi, pas une seule seconde entre sa naissance et sa mort, à aucun moment de sa vie, le corps d’une femme lui appartient. La propriété de ce corps passe de la famille à son mari. Le voile est le symbole le plus visible et l’aboutissement de cette vision des rapports femme-homme, même si toutes les femmes ne le portent pas (certaines ne se sentent pas prêtes à le mettre mais pensent le porter un jour, d’autres ne souhaiteront pas le porter mais partagent les mêmes valeurs). Ce qui est fou, c’est qu'une bonne partie d’entre elles trouve cela normal et le défende. Certaines se félicitent même entre femmes quand l'une d'elles décide de se voiler ! Les autres ne peuvent que subir et se taire ou, pour les plus téméraires, vivre leur liberté en se cachant.
C’est pour cela que, d’après W. Tamzali, en se servant de la religion pour imposer une morale sexuelle, on s'inscrit dans la vie des hommes et des femmes musulmans suivant un dispositif dont le voile est la pièce maîtresse. Effectivement, ce système repose sur la responsabilité et la culpabilité de la femme. L'homme, lui, est libre de faire ce qu'il veut (alors cela veut dire qu'il n'est pas un bijou ou une perle ?). Tout ça la met aussi en colère. Mais c'est autre chose qui la met vraiment hors d'elle.
Le combat qu'elle mène pour éclairer les femmes algériennes et moderniser la mentalité de son pays est souvent relativisé en Europe, avec parfois une forme de condescendance. En effet, elle lance un grand cri de colère et dénonce dans son livre (d’où le titre) la trop grande complaisance de nombreux intellectuels occidentaux et le relativisme de certaines féministes concernant le voile.
Si les droits de l’Homme (ou plutôt les droits Humains) sont universels, alors les droits des femmes ne peuvent pas se diviser pour s’adapter à telle culture ou telle religion. Ils doivent pouvoir s’appliquer de la même manière partout dans le monde. Les féministes comme Wassyla Tamzali doivent ainsi parfois se sentir bien seules dans leur combat lorsque des féministes européennes sensées les soutenir préfèrent ne rien voir au nom du respect des traditions et des religions des autres pays, y compris quand le problème concerne des femmes vivant en Europe !
Les héritières de Simone de Beauvoir semblent frappées d'amnésie. Elles ne reconnaissent pas dans les féministes du monde musulman les combats qu'elles ont elles-mêmes menés en leur temps. C’est pour cela que W. Tamzali se pose cette question : S'agit-il d'amnésie ou d’ethnicisme ?
Voilà la grosse colère, légitime, de cette féministe qui aura voué sa vie à la cause des femmes algériennes et du monde musulman en général, malgré le relativisme de certaines féministes européennes.
Wassyla Tamzali a toujours refusé d'être considérée comme un objet. Comme je la comprends. Mais l'objet de sa réflexion, lui, est précieux. Bref, vous l'aurez compris, j'admire cette femme.